crédit photo: Rose Cormier
Idles

Entrevue avec IDLES | Quand violence et bienveillance se complètent

Le groupe punk britannique IDLES s’est installé à Montréal le week-end dernier, alors qu’il donnait deux spectacles en deux soirs dans un MTELUS bondé. L’occasion était bonne pour discuter avec le chanteur Joe Talbot et le guitariste Mark Bowen dans leur loge au lendemain du furieux concert du samedi soir, et quelques heures avant le second, qui s’est avéré tout aussi intense.

Montréal peut se compter chanceuse : c’est la seule ville du volet nord-américain de la tournée Love is the Fing à avoir droit à deux soirs dans une plus petite salle. Asheville, Atlanta, Nashville, Chicago, Toronto, Boston et New York accueillaient chacune IDLES pour un seul soir dans des salles de 5000 à 10 000 places.

Le MTELUS peut accueillir un maximum de 2300 personnes. Sa popularité oblige, la logique aurait voulu qu’IDLES joue à la Place Bell, mais une certaine PJ Harvey s’y produisait.

« Deux shows en deux soirs dans un plus petit lieu, c’est toujours mieux, exprime Joe Talbot. C’est mieux pour tout le monde : pour l’équipe technique qui n’a pas à tout remballer et tout démonter. Pour nous, qui sommes désormais familiers avec la grosseur de la scène, qui est beaucoup plus facile à habiter quand tu es un groupe qui bouge beaucoup comme nous. »

Son collègue renchérit : « Pour moi, l’avantage d’avoir deux soirées, c’est que plus on peut se libérer l’esprit, mieux c’est. Plus c’est juste instinctif et dans le moment. Faire deux soirs signifie que ton cerveau n’est pas en train de faire des erreurs, il n’est pas absorbé par la disposition de la salle, par l’acoustique du lieu. On peut donc devenir un peu plus présents et irréfléchis. »

Il faut dire que bien qu’IDLES soit un groupe politisé qui exprime haut et fort ses valeurs, sa furieuse opposition à la monarchie — quelques « Fuck the King! » ont ponctué la soirée, comme c’est maintenant leur habitude —, au racisme, à la xénophobie, à l’homophobie et à la misogynie, son approche demeure viscérale, brutale et honnête. Surtout sur scène.

Samedi soir, des titres comme Colossus, War, Benz0caine, Gift Horse et la très courte mais non moins bruyante Wizz frappaient comme des jabs au menton, tout comme les incontournables Never Fight a Man With a Perm et le brûlot pro-immigration Danny Nedelko, bien entendu.  « On ne pourrait pas ne pas jouer Danny Nedelko. Pas nécessairement parce que c’est la plus populaire, mais c’est certainement notre message le plus important en ce moment et les gens y réagissent chacun à leur manière. »

Entre les chansons, Talbot s’exprime, s’explique, raconte plein de choses. Pour toute l’intensité et la violence musicale produite par le groupe de Bristol, il y a ce discours bienveillant et empathique qui l’épouse. Quand on s’y penche le moindrement, on retrouve beaucoup d’amour et de gratitude dans les textes. Une volonté assumée de croissance personnelle, au sens concret et non ésotérique. Un contraste qui rend la discussion autour de la violence musicale encore plus fascinante.

« Nous avons choisi la violence parce que c’est ainsi que nous nous sommes liés »

Pour l’auditeur inattentif aux paroles, la musique d’IDLES pourrait sembler inciter à la haine. L’esprit furieusement punk d’IDLES sert pourtant, au contraire, à combattre la haine, à la dénoncer, tout en utilisant la violence comme matière première.

Mark Bowen préfère utiliser le mot « véhémence », en insistant sur l’intensité, sur l’aspect passionné plutôt que sur le tort que la « violence » puisse causer à autrui. Talbot tisse d’ailleurs un lien avec d’autres formes d’art où la violence fait partie intégrante du processus, en évoquant notamment des peintres inspirants dont il qualifie les traits de pinceau de « violents » : pour Talbot, c’est le peintre figuratif britannique Lucian Freud, pour Bowen, c’est le surréaliste Francis Bacon.


Étude de Francis Bacon d’après le Portrait du pape Innocent X de Vélasquez. Source : Domaine public.

« La colère est certainement un catalyseur pour beaucoup d’erreurs que j’ai commises dans ma vie, admet candidement Talbot. C’est aussi la seule chose que j’ai dû apprendre à contrôler pour devenir un artiste productif, un ami, un père, etc. C’est un sous-produit de la peur, de la tristesse, du chagrin, du dédain, de la confusion, de toutes ces choses. Tu deviens alors en colère parce que tu refoules beaucoup de choses, mais tu dois apprendre à t’exprimer, à être productif, à transformer ces sentiments en quelque chose de beau ou de laid, pour que tu puisses passer à autre chose ou compartimenter. »

La dynamique interne du groupe alimente aussi cette « véhémence ». « Ça nous prend beaucoup d’énergie pour nous côtoyer. Parce que nous sommes tous, à l’exception de Jon, un peu un cauchemar à fréquenter. Mais ensemble, nous sommes de grands amis et de grands collègues au final », admet Talbot.

IDLES est constitué de cinq personnes au tempérament fort. En fait… quatre personnes au tempérament fort. « Jon (Beavis, le batteur) est comme quelqu’un qui a reçu la visite d’un prêtre et qui est dépossédé. Vous lui mettez des baguettes dans les mains et il fait ce que vous lui demandez. Il est très heureux de cette vie. Il n’est jamais excité, il n’est pas passionné par grand-chose », explique Talbot, le plus sérieusement du monde.

Bowen, au contraire, admet avoir un tempérament colérique. « De base, je suis toujours un peu en colère », exprime-t-il sur un ton totalement calme, alors que Talbot établit un lien avec les racines irlandaises de son collègue pour expliquer en partie ce trait de personnalité.

Le guitariste Lee Kiernan serait quant à lui apparemment « un putain de cauchemar à côtoyer », malgré tout l’amour que ses collègues lui vouent.

La seule raison pour laquelle nous sommes encore amis, c’est parce que nous sommes collègues. Et la seule raison pour laquelle nous sommes encore collègues, c’est parce que nous sommes amis.

Talbot a aussi la maturité d’admettre qu’il n’est lui-même pas le plus facile des joueurs, s’autodéfinissant même de « personne combustible, très explosive ». « Il ne pourrait pas y avoir plus d’une personne comme moi dans le groupe. J’étais un homme agressif, il n’y a pas d’autres boulots que j’aurais pu continuer à faire en étant la personne que j’étais. J’ai perdu beaucoup d’emplois. J’ai eu beaucoup d’ennuis. Mais au fond, les gens autour de moi qui m’aimaient, que j’aimais, savaient que j’étais loyal comme un chien. Je n’aurais jamais laissé tomber un ami. J’ai pu être un connard avec eux, mais au fond de moi, je suis dévoué à mon entourage. »

« C’est la seule raison pour laquelle j’ai commencé ce groupe : parce que j’étais perdu et que je ne pouvais pas me retrouver en blâmant les autres pour mes conneries. Je voulais juste faire quelque chose et mettre mon histoire de l’avant », rajoute-t-il.

« Je suis une personne très honnête et j’espère que l’expression de mes désirs et de mes besoins aide d’autres personnes, et pas seulement des hommes, à se sentir en sécurité et à pouvoir partager leurs émotions avec le monde, à s’ouvrir et à être vulnérable, afin de sentir qu’ils font partie de quelque chose de plus grand qu’eux. »

Bien qu’ils rejettent toute forme de « responsabilité » envers le public, les deux interviewés ont en commun d’avoir également grandi à travers l’expérience de la paternité, depuis maintenant six ans. Mark Bowen explique : « Nous passons beaucoup de temps loin de nos familles et nous avons la responsabilité d’utiliser ce temps à bon escient et d’être aussi incroyables que possible en tournée. Nous devons aussi prendre soin les uns des autres pendant la tournée et revenir à la maison en bonne santé et heureux. Ça signifie qu’on doit éviter de se sentir agacé par les gars pendant tout ce temps et de refouler des sentiments durant des semaines. C’est donc un changement de perspective radical. Mais nous sommes pères depuis six ans, c’est donc une partie inhérente de notre identité maintenant. »


English Teacher en première partie

Le groupe de Leeds English Teacher, qui remportait le prestigieux prix de musique Mercury au début septembre, assurait la première partie des deux spectacles d’IDLES ce week-end.

Quelques photos en vrac de leur prestation :

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