crédit photo: Jean Charles Labarre
Daran

Entrevue avec Daran | Un projet guitare-voix introspectif

Dans un café au cœur du quartier du Mile-End, avec Coldplay en fond sonore, Sors-tu.ca a rencontré le chanteur français-devenu-montréalais Daran, qui sort son nouvel album Le monde perdu cette semaine. Entre anecdotes, dérision et dénonciations, Daran explique ce projet guitare-voix, qui ramène la musique à son aspect le plus pur.

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Sors-tu.ca : Comment te sens-tu avant la sortie de ton album ?

Daran : Euh, bien, c’est la meilleure période, c’est le moment où on ne sait pas encore que ça ne va pas marcher… ! (rires)

Sors-tu.ca : C’est un projet que tu avais depuis longtemps, donc tu dois être pressé de partager cela avec tes fans ?

Daran : Oui, c’était une vieille idée. En fait j’ai dit une fois que je ne l’avais pas encore fait parce que les maisons de disque étaient réticentes à ce genre de projet, et que maintenant je pouvais le faire car je m’autoproduis, mais peut-être que je me retranche derrière ça et que je n’étais pas forcément prêt à faire ça avant.  Donc c’est un bon timing.

Sors-tu.ca : C’est un projet que tu avais depuis combien de temps ?

Daran : Une quinzaine d’années ! On a tous, enfoui au fond de nous, ce désir de se confronter au dépouillement.

Sors-tu.ca : La plupart de tes textes sont de Pierre-Yves Lebert, c’est ça ?

Daran : La plupart, oui.  C’est un génie.

Sors-tu.ca : Comment ça se passe au niveau de l’écriture ? Est-ce toi qui lui donnes des idées de thèmes ou vice versa ?

Daran : Oh, c’est quelqu’un qui m’est proche donc  évidemment ça naît de nos nombreuses discussions. Quand on refait le monde, on trouve des idées. En fait je crois que l’on se comporte un peu comme une entité auteur-compositeur à deux car chaque fois que j’ai une idée il la transcrit parfaitement, et chaque fois qu’il a une idée, elle me colle parfaitement. Je pense qu’on est vraiment en phase tout simplement, on se connait tellement bien. Maintenant il y a la distance, mais il y a eu un travail avant, c’est le 4ème album qu’on fait ensemble.

Mais j’écrivais avant ! C’est lui qui m’a fait arrêter d’écrire.

Sors-tu.ca : Ça te correspond mieux ainsi ?

Daran : Bah, je crois qu’il y a un moment où il faut savoir s’incliner devant le talent ! (rires) Il a rendu mon métier facile. Quand je mets un texte sur mes genoux, tout est simple.

Sors-tu.ca : Je trouve justement que tes textes sont très personnels, donc je me demandais comment vous faisiez pour donner ce rendu-là.

Daran :Oui, c’est drôle car une personne sur deux croit que je suis auteur-compositeur-interprète. C’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire, quelque part.

Sors-tu.ca : On a vraiment l’impression que c’est toi qui écris.

Daran : Oui, et le plus fort c’est que j’ai l’impression aussi à la fin !  En plus j’aime bien chanter en accord avec cela, je ne chante jamais « Il a fait ci, il a fait ça ». Je n’aime pas le « il », j’aime bien m’approprier les choses, j’aime bien être l’acteur de ce que je chante. Finalement, au bout du compte, je suis comme dans un costume sur mesure.

Sors-tu.ca : Ton album me semble globalementtrès sombre, est-ce un reflet de ta vie personnelle ?

Daran : Quand on m’entourera avec des trucs plus gais, je ferai des albums plus gais ! (rires) C’est vrai qu’il n’y a pas tellement matière à se réjouir mais c’est ce que j’aime bien chez Pierre-Yves Lebert d’ailleurs. On va aborder des choses sociétales, on arrive à toucher du doigt des choses un peu dures sans tomber dans le pathos, jamais. Il y a toujours la petite touche d’humour au moment où on pourrait s’enliser.

J’aime bien ce dosage, maintenant chacun a son propre dosage. C’est comme l’humour, on ne peut pas plaire à tout le monde. Ce que les gens vont trouver très sombres, moi je vais trouver ça normal.

Sors-tu.ca : Tu évoques des thèmes difficiles, comme dans Gens du Voyage où tu parles des populations déplacées, sont-ce des sujets qui te tiennent à cœur ?

Daran : Oui, quand je vois le pataquès dans mon ancien pays. En plus c’est vraiment de l’utilisation, c’est ridicule. Les Roms c’est la patate chaude en Europe en ce moment. Personne ne sait quoi en faire. En plus ils ont un passeport européen donc ils se promènent où ils veulent.

La réflexion qu’on s’était faite, c’est qu’on trouvait incroyable que ces gens du voyage, qui étaient des nomades, aujourd’hui sont sédentarisés,  dans des camps près des nœuds d’autoroute. Au final ils regardent les gens qui partent en vacances, c’est eux qui regardent les gens du voyage !

C’est ce paradoxe qui a allumé ce texte.

Sors-tu.ca : On retrouve de nombreux personnages féminins dans tes chansons (Gentil, Le monde perdu…) qui sont souvent associées à des histoires d’amour désenchantées, pourquoi ?

Daran : Je crois qu’on fait ce qu’on sait faire dans la vie, je ne me pose pas la question et je n’ai aucun plan de vol en démarrant un album. Je ne me dis pas « Il y aura 60% de bonheur… ».

Il y a des gens qui chantent très bien la joie de vivre, des gens qui vont hurler leur rage dans ta face, et d’autres qui vont faire comme ci, comme ça. Je pense qu’on se place naturellement là où on doit être. Je crois que je découvre l’album à la fin comme tout le monde.

C’est vraiment un métier où tu ne peux pas viser d’objectif. Le seul que tu puisses avoir, c’est d’être le plus proche de toi possible. C’est la seule chose qui va faire que les gens vont s’y retrouver je pense.

Sors-tu.ca : Vu que c’était un projet que tu avais depuis longtemps, tu n’avais pas réfléchi à ce que tu allais mettre dans cet album ? Tu voulais simplement une guitare et une voix ?

Daran : Oui c’est le seul tuyau que j’avais. C’est intéressant les restrictions artistiques, ça fait ressortir d’autre chose. Mais je n’avais pas de tuyau au niveau des thèmes abordés.

Sorstu.ca : Dans la chanson L’Exil, qui évoque l’immigration, parles-tu de toi ?   

Daran-entrevue (4)Daran : Non justement ça parle de l’inverse de moi. En fait c’est un auteur québécois qui a fait ce texte, il s’appelle Moran, il écrit très bien. Dans une soirée il m’a demandé si mon album était fini, ou s’il restait encore une place. Je lui ai répondu qu’à priori j’avais ce qu’il fallait mais que j’étais ouvert à des propositions. Il m’a alors dit que pour lui ça bouclerait une boucle s’il pouvait mettre une chanson sur mon album parce qu’il était fan quand il avait 14 ans, quelque chose comme ça.

Vu que ça lui tenait à cœur, je lui ai dit qu’on pouvait en discuter. Il m’a demandé s’il y avait un sujet qui m’intéressait, et finalement je lui ai répondu qu’il me manquait quelque chose sur cet album.

C’est juste parce que deux jours avant j’avais pris un taxi, j’ai parlé au chauffeur, qui était pakistanais, qui m’a raconté un peu sa vie. J’ai réalisé que mon immigration c’était du coton.  Je viens d’un pays occidental dans un autre, je pouvais payer ce qu’il fallait, en plus je n’avais pas la barrière de la langue.

Et là tu vois des gens qui changent totalement de mode de vie, qui vont dans des mégapoles alors qu’ils habitaient dans un petit village, qui ont dû se saigner pour trouver l’argent pour faire ça, qui se retrouvent chauffeurs de taxi… Je trouvais ça tellement plus admirable, donc j’ai demandé à Moran de me faire un texte là-dessus.

Il a longtemps travaillé, et un jour il est arrivé avec ça, et là j’étais aux anges.

Sors-tu.ca : Et pourquoi avoir terminé l’album avec Le bal des poulets, qui évoque un drame social ?

Daran : Je pensais que la fin de la chanson finissait bien l’album « Tic, Tac, Tic, Tac ».

Sors-tu.ca : C’est quand même une chanson très sombre…

Daran : Oui, mais ça arrive tous les jours à une centaine de personnes.

Sors-tu.ca : Et comment t’est venue l’idée de cette chanson ?

Daran : J’ai couru après Lebert pendant des semaines. Je lui ai dit que je voulais une chanson sur une fermeture d’usine, et cibler une personne dans ce cauchemar-là.  Les gens à qui on n’a pas appris à rebondir, on leur a appris que si tu changes de métier, tu es instable. Il y a d’ailleurs une grande différence avec ici. Quelqu’un qui a beaucoup d’expérience ici, on dit qu’il est adaptable. En France on dit qu’il est instable.

Et Pierre-Yves est arrivé avec cette merveille, et j’ai trouvé cela parfait. J’adore cette chanson.

Sors-tu.ca : Pourquoi as-tu choisi le titre de la chanson Le monde perdu comme titre de l’album ?

Daran : En fait je l’ai choisi pour des raisons qui n’ont aucun rapport avec la chanson. J’y vois plus l’insouciance perdue, l’enfance perdue.

Sors-tu.ca : C’est vrai qu’en général tu choisis un des titres de tes chansons de ton album comme titre de l’album.

Daran : Je vais dire que presque à chaque fois je crois que je vais trouver un titre extraordinaire, et à chaque fois, à un moment donné dans le travail, il y en a une qui s’impose à moi. Et le je trouve que le monde perdu ça va bien. Il ne faut juste pas mettre un dinosaure sur la pochette… ! (rires)

Sors-tu.ca : Et tu as repris Une sorte d’Eglise, qui était sur un des tes albums, mais cette version a été faite par Louis-Jean Cormier, c’est bien cela ?

Daran :  C’est une longue histoire. C’était la dernière de l’émission Studio 12, ils ont fait plein de surprises à l’animatrice jusqu’à lui faire croire qu’ils faisaient un nouveau concept d’émission : prendre sa chanson préférée avec son interprète préféré, et de faire ça plein de fois. Elle a dit que sa chanson préférée c’était Une Sorte d’Eglise de Daran, et que si elle devait se marier, elle mettrait cette chanson-là. Et son interprète préféré était Louis-Jean Cormier.

Donc on s’est retrouvés tous les deux à faire un duo en surprise. Et donc lui a eu l’idée de mettre la chanson en guitare-voix. J’ai trouvé ça tellement joli que j’ai gardé cette version en concert. Mais sous cette forme elle n’avait jamais été sur un disque, donc comme je faisais un guitare-voix, je l’ai ajoutée.

Sors-tu.ca : Tu as dû être flatté que ça soit la chanson préférée de la présentatrice.

Daran : Oui, on a des fans qu’on ignore. Probablement des gens qui nous détestent aussi. Mais quelqu’un qui te déteste te fait vendre un disque. La Terre équilibre tout, toujours. Tu ne vends pas un disque à quelqu’un qui t’aime bien mais à quelqu’un qui t’adore. Les disques sont chers aujourd’hui, donc pour que quelqu’un aille dans un magasin en acheter un, il faut qu’il l’adore.

Et je dis que pour que quelqu’un t’adore, il faut que quelqu’un te déteste. Et donc chaque fois que quelqu’un me déteste, je sais que quelque part je vends un disque ! (rires)

Sors-tu.ca : As-tu essayé d’être plus authentique avec ce projet guitare-voix ?

Daran : Plus authentique non, j’ai toujours essayé d’être le plus authentique. Par contre je me suis rendu compte que c’était plus difficile qu’un album avec tout le monde. La moindre faiblesse tu la ressens gros comme une tâche sur un mur blanc. Il m’est arrivé de recommencer des versions entièrement pour un détail infime qui vieillissait mal.

Sors-tu.ca : Combien de temps au final cela t’a pris de faire cet album ?

Daran : Je l’ai fait chez moi dans mon studio, je l’ai fait dans la longueur. Ça a été long, car j’ai peaufiné le tout. Mais maintenant je suis en accord avec le moindre détail sur l’album.

Sors-tu.ca : Et tu avais quelqu’un pour te donner son avis ?

Daran : Non, mais il y a un moment il faut assumer cette position. Je suis allé le faire mixer par quelqu’un, pour au moins avoir un intervenant extérieur à ce niveau-là. Mais c’est vraiment un album très introspectif.

Sors-tu.ca : Donc tu seras seul sur scène pour la tournée ?

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 Daran : Et bah non ! J’aurais pu faire simple mais j’ai repris une idée que j’avais déjà faite à une époque. J’avais fait une série de concerts dessinés, un dessinateur m’avait accompagné sur scène. Les dessins étaient projetés derrière moi, et les gens étaient fascinés.

Donc là je me suis dit que pour guitare-voix j’allais pousser le concept un peu plus loin. Donc le dessinateur va utiliser une palette graphique pour dessiner sur du film ! Ça a l’air abstrait, mais en fait on va faire interagir les deux pour que les gens ne sachent plus qui est quoi.

J’ai eu des mois de travail. Mais c’est super joli et c’est une dessinatrice québécoise qui m’accompagnera. Je me suis rendu compte que ça allait difficile quand j’ai vu qu’aucun logiciel n’existait pour dessiner sur l’image en mouvement, personne n’en avait eu besoin. J’ai fait faire un logiciel pour moi.

Sors-tu.ca : Tu as fait 150 dates pour ta dernière tournée, ça sera la même chose ici ?

Daran : Là on va essayer de dépasser les 200 ! (rires)

Sors-tu.ca : Ca ne te fatigue pas ?

Daran : Non, j’aime ça. C’est presque là où je commence à me reposer. C’est fatiguant physiquement, mais la tête se repose. Tu dois être efficace deux heures par jour, le reste du temps tu es baby-sitté, tu es loin de chez toi, tu n’as pas tous les problèmes que tu pourrais avoir, tu n’as rien d’autre à faire. Pour des gens qui travaillent tout le temps comme moi, là je m’autorise à ne pas travailler.  Donc dans la journée je dis des bêtises avec les autres. Quelque part le travail est fini.

Maintenant je suis dans le stress, mais quand ça va démarrer, ça ira mieux, les jeux sont faits !

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