
Entrevue avec Chilly Gonzales | Les 20 ans de Gonzo au piano
En 2023, Chilly Gonzales devait donner trois concerts au Théâtre Rialto, à Montréal. Ceux-ci ont été reportés… en avril 2025! À la veille du troisième de ces concerts, ce vendredi 18 avril – concert auquel notre collaborateur Joshua Lessard assistera, consultez sa critique sur Sors-tu.ca ce week-end – notre collègue Christophe Gagné a eu l’occasion de jaser avec le populaire musicien.
Il était une fois un gars, né au printemps 1972 à Montréal et qui, après avoir quitté sa ville natale, devint l’un des troubadours les plus insaisissables de la planète musicale. Le gars se nomme Jason Beck, bien que depuis déjà un quart de siècle, il se fait appeler Chilly Gonzales et roule sa bosse depuis l’autre bord de la flaque.
À ses débuts, le touche-à-tout mâtinait son trip alterno surtout de rap et d’électro, avant de frapper un inattendu coup de circuit en 2005 avec Solo Piano. Ce cinquième album de Gonzo (pour les intimes) surprit autant qu’il séduisit, tout en douceur, à l’aide de mélodies dépouillées, empreintes d’une désarmante liberté.
Il a toujours eu à cœur de divertir et de surprendre son auditoire, tout en démocratisant les musiques dites nobles, en faisant un pied de nez au côté élitiste qu’on retrouve d’ailleurs dans tous les genres musicaux, yo. Car c’est bien plus fun de métisser, de pervertir, de se moquer, de s’amuser.
C’est en pantoufles et peignoir que performe le bonhomme ses pièces minimalistes, contrairement à cette image formelle et typique qu’on a du pianiste. Car en spectacle, le génie musical de Gonzo frise la folie avec brio. En plus de son efficace flow et de son amour des bains de foule, l’artiste possède un humour caustique qui cohabite toujours avec les moments favorisant l’écoute et ceux axés purement sur le divertissement ou la pédagogie (oui-oui). Il faut savoir que le MC possède la nonchalance d’un Jeff Lebowski, la désinvolture réfléchie d’Hunter S. Thompson, et une foutue belle fougue rappelant celles des Beastie Boys et autres Eminem (mais en moins trash). Bref, vous voyez le genre d’iconoclaste.
* Chilly Gonzales à POP Montréal en 2016. Photo par Richard Mercier.
Si ce foisonnant esprit toute en opposition évoque en vous un déficit d’attention, sachez qu’on parle plutôt ici de trop plein d’inspiration, avide de collaborations. Il a depuis bossé avec des artistes de tout acabit, qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs, donnant dans la chanson (Feist, Philippe Katerine, Jarvis Cocker de Pulp), le rap (SoCalled, Buck 65, Drake), ou l’électro (Peaches, Tiga, Plastikman, Boys Noize, Daft Punk). Parce que Gonzo, il n’en a que faire des silos.
Depuis ses débuts, l’artiste se fait un malin plaisir de se jouer des conventions, mixant les genres au profit de celles et ceux qui détestent les étiquettes et qui osent le suivre dans ses délires fantastiques.
Nous avons eu le grand plaisir de connecter avec l’artiste pendant une petite demi-heure, afin de discuter de son parcours haut en couleur.
Musicalement baroque, philosophiquement jazz
On peut supposer que le trip anticonformiste de Gonzo lui vient de ses années passées à l’Université McGill, où il étudiait le piano, soit la théorie de la musique classique et la technique du jazz pour la performance en tant qu’instrumentiste. « C’était une évidence que mon cerveau de compositeur avait besoin d’aller aux sources, à Bach, l’époque du baroque », d’avouer le musicien, qui s’est dit séduit par la rigueur des systèmes créés par la musique classique.
« Par contre, je ne me retrouvais pas du tout dans ses philosophies, qui sont très contre l’improvisation, qui prêchent qu’on doit planifier tous les détails pour créer un tout, alors que dans le jazz, c’est l’opposé », de nuancer le bachelier qui gradua en 1994. « Donc, c’est comme si je m’étais dit que j’allais apprendre comment composer comme Johann Sebastian Bach, jouer du piano comme McCoy Tyner et danser sur le plafond comme Lionel Ritchie », de laisser tomber celui qui s’est gavé des vidéoclips pop diffusés sur Much Music et Musique Plus à l’époque.
Plus un mot, que du piano
Reste que ça a quand même pris plus d’une décennie avant que le classique ne revienne dans sa vie. Après un trio d’albums avec son groupe alternatif Son, et pas moins de quatre albums de Chilly Gonzales en mode électro-alterno rap, sort contre toute attente Solo Piano (2005), à la suite d’un étonnant déclic :
Comme tous les accidents heureux, c’était un produit de circonstances. Je vivais à Paris, et j’étais en train de produire un album avec Renaud Letang pour Jane Birkin, la première dame de la chanson française, même si elle est Britannique. Elle était très sympa, mais elle avait un entourage très versaillais, une espèce de cour royale autour de la princesse… et c’était fatigant. Comme j’avais parfois besoin de pauses, j’ai trouvé une petite pièce dans le studio avec un piano droit poussiéreux, avec deux micros et une machine DAT. J’ai commencé à enregistrer des petits trucs au piano, écrire des mélodies, en me disant que peut-être ça allait servir plus tard, et les sampler pour mes morceaux electro rap ou pour des chansons pour d’autres.
Donc, on comprend que ces courtes mais ô combien vibrantes pièces ne sont nées que pour le désennuyer. Qu’il n’y avait rien de prémédité. Quelques mois plus tard, après en avoir fait écouter à quelques amis musiciens, il a saisi le potentiel de sortir le tout tel quel, en tant que curiosité :
« Comme j’étais un peu prankster à l’époque, très grande gueule, provocateur… j’ai donc cadré le truc en me disant que ça allait surprendre les gens; c’était un peu du trolling avant qu’on appelle ça comme ça. Mais je n’avais aucune idée que j’allais toucher un public encore plus grand que je n’aurais pu imaginer… parce que le piano, lorsque je le joue en solo, a un pouvoir bien plus puissant que ce je fais en tant qu’électro rappeur, où c’est beaucoup dans des contextes ou en réaction à… »
Car ses fans de l’époque auraient pu ne pas connecter avec Piano Solo. C’était quand même une proposition située à l’extrême opposé de ce à quoi il avait habitué son public. Lancer un album instrumental complètement dépouillé de ces textes cinglants sur lesquels s’appuyaient ses disques précédents. Heureusement, l’album fut en effet un franc succès! Celles et ceux qui étaient au Théâtre National lors de Pop Montréal 2005 vont se souvenir éternellement de ce qui était aussi le tout premier concert en ville de Chilly Gonzales :
C’était parmi la première dizaine de concerts que j’ai donné pour Solo Piano, et je n’étais pas forcément préparé pour performer qu’au piano… en gardant la touche Gonzales, humoristique… je me demandais comment provoquer, comment troller assis au piano. C’était une période où j’étais en plein ajustement à la suite de ce succès inattendu. Avec le temps, je vois c’était un truc inévitable, que les albums Solo Piano prennent cette place dans ma carrière comme le cœur battant de ce que je fais.
Par sa simplicité, sa douceur et sa pureté, le disque a su toucher droit au cœur l’auditeur, qui pouvait s’abandonner dans son for intérieur, à ses émotions, résonner avec son vécu, vibrer à l’unisson.
En conversation avec Jason Beck (en mode gonzo)
Kristof G. : Sur une note très personnelle, je tenais à te remercier, car Solo Piano est pour moi un album qui sera à jamais associé à des moments doux-amers, ceux que j’ai passés à l’hôpital au chevet de ma très chère mère, terrassée par un satané cancer.
Jason Beck : Ça me touche beaucoup ce que tu dis, et c’est vrai que la musique peut marquer des gens, des moments comme ça. Je crois que je parle dans le livre [Plaisirs (Non)Coupables] de l’histoire de mon ami Thomas Bangalter de Daft Punk, que je fréquentais pendant l’époque électro rap, qui me complimentait quand on se voyait, du genre ‘c’était drôle’ ou ‘j’ai adoré ce que tu as dit sur tel plateaux de télé’. Mais quand je l’ai croisé quelques années après la sortie du premier Solo Piano, et il m’a dit ‘c’est le seul album qui a pu endormir mon nouveau-né, et tous les moments de calme que j’ai pu passer avec mon bébé, c’est grâce à ton album’.
C’est alors que j’ai compris que ma musique pouvait être utile d’une autre façon à quelqu’un, et ce quelqu’un était en plus aussi un artiste que j’admire. J’ai compris qu’il y avait un truc dans la simplicité de la communication musicale que je ne devrais pas snober, et qu’il fallait la traiter précieusement.
Jason Beck : En même temps, j’aurais pu être cynique et me dire ‘ah voilà j’ai trouvé un truc qui marche mieux que l’autre truc et je ne fais que ça maintenant’. Mais je savais que je voulais faire autre chose, ça a pris quelques cycles [Soft Power, The Unspeakable…, Ivory Tower…] avant de pouvoir faire Solo Piano II sincèrement, avec toute la fascination et l’obsession qui m’a amené à faire le premier.
KG : Ce que j’adore chez les artistes comme toi, c’est cette idée de défier les attentes, en explorant d’autres avenues, en n’étant jamais où on est attendu. Ça ne doit pas être si simple?
JB : En même temps, c’est facile pour moi, car je ne peux pas faire autrement. Il faut que je suive le noyau en fusion de me obsessions. J’imagine, qu’à un moment, je vais être vraiment prêt à me repencher sur un Solo Piano IV. Mais je vais le faire que lorsque ce sera sincère. Mais je ne peux pas juste me dire ‘ça m’arrangerait quand même, car ça vend plus, c’est plus facile à tourner et à enregistrer, c’est moins cher de faire un Piano Solo IV aujourd’hui’… mais je suis assez patient, j’attends que les circonstances me mènent au prochain projet. Je ne juge pas les artistes qui font autrement. Des fois, je suis même un peu jaloux des gens qui ont une route qui parait plus simple. Je me dis ‘est-ce que je me complique un peu trop la vie?’ Mais c’est comme ça, je ne peux rien faire.
ST : Dans tes shows, tu passes du français à l’anglais au micro, unissant en quelque sorte les deux solitudes. Du coup, sortir French Kiss, un album complètement en français [2023], ça semblait inévitable. L’amour de la langue française, ça t’est venu comment?
JB : Évidemment, j’ai grandi à Montréal. Mon papa, il est français, j’ai fait l’école française. De plus, j’ai passé mes étés en campagne près de la ville de Québec, au Camp Musical Accord Parfait. J’ai appris la musique là-bas, j’étais le seul anglophone parmi plein d’adolescents québécois. Ensuite, j’avais des amis anglos et francos, et j’ai toujours aimé la culture, le cinéma, la littérature… Quand j’ai sorti mes premiers disques en tant que Chilly Gonzales, il y avait quand même une forte réaction en France, même si j’étais Berlinois à l’époque. Je suis passé d’artiste underground à hyper sollicité très vite, c’est comme ça que ça se passe dans le milieu de l’élite à Paris. (…) Là-bas, on m’apprécie, mais je ne suis pas Français : je ne sais pas jouer le vrai jeu de la courtoisie parisienne, je ne suis pas un fêtard qui sort aux bons endroits, je provoque mon public, je n’ai pas cette politesse et cette fausse modestie qui est très récompensée dans le milieu parisien… je suis qui je suis, et je n’ai pas peur qu’on me dislike pour quelque chose que j’ai dit.
KG : Et jouer à Montréal, ça te fait quoi?
JB : J’ai l’impression que c’est la ville où je me sens le plus compris sur scène.
KG : Ah oui? C’est comme retourner à la maison?
JB : Bien sûr. 100%. J’ai plein d’amis musiciens qui y vivent toujours. À part Cologne, là où je vis en ce moment, Montréal, c’est la seule autre ville où j’ai un vrai attachement émotionnel.
KG : Pour ces shows montréalais, qui vont finalement avoir lieu plus de trois ans après l’annonce initiale [reportés à deux reprises], à quoi doit-on s’attendre? Le setlist doit forcément être différent.
JB : Le setlist, c’est toujours fait sur mesure. Le concert, c’est sacré pour moi. Car c’est le seul moment où j’ai les gens devant moi pour deux heures pour raconter une histoire un peu plus complexe que ce qui rentre dans une publication Instagram. Mon concert, c’est l’œuvre de ma vie. Les disques existent pour alimenter cette œuvre d’art qui évolue sur les années. J’aurai mon nouveau groupe avec moi, qui n’a pas encore joué à Montréal, mais avec qui je joue depuis 2022. On va faire le tour de tout mon catalogue. Évidemment, il y aura du Solo Piano, du Chambers, du Ivory Tower, des morceaux rappés…
KG : Et des chansons en français j’espère?
JB : Oh oui, il y aura aussi des morceaux de French Kiss. Parce qu’en 2023, alors que l’album était tout frais sorti du four, j’ai été vraiment triste de devoir annuler cette tournée, pour des raisons de santé. On m’avait interdit de prendre l’avion à cause d’un trouble à l’oreille.
KG : J’ai bien hâte d’enfin entendre les pièces de French Kiss et de l’album Gonzo [15e album en tant que Chilly Gonzales, paru l’an dernier]. Tu peux me parler un peu de ton groupe?
JB : J’ai trois gars avec moi, dont un Canadien qui vit à Berlin, avec qui j’ai fait McGill, que je connais depuis 30 ans. J’ai un violiste qui est à Rotterdam et mon batteur vient d’Angleterre. Ce sont tous des musiciens aussi polyvalents que moi, qui jouent de plusieurs instruments, et qui peuvent chanter. Un vrai groupe, là. Et j’aurais aussi plein de invités différents, qui changent à chaque soir. Des rappeurs, et même des pianistes néo-classiques. Ça va être très cool. Mais je ne veux pas trop en dévoiler. Bien sûr, ça va finir dans une extase collective, j’espère.
KG : Sans aucun doute.
En vous souhaitant de pouvoir voir Gonzo au Rialto.
- Artiste(s)
- Chilly Gonzales
- Ville(s)
- Montréal
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- Théâtre Rialto
- Catégorie(s)
- Baroque, Classique, Electro, Indie, Pop, Rap,
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