crédit photo: Pierre Langlois

Ensemble Déplacer d’l’air à la Sala Rossa | Un entrelacement riche de saxophones pour une tapisserie sonore innovante

Ce concert, présenté hier soir, le 20 mai 2025, était organisé par le festival Flux, mais en dehors de sa programmation régulière. Flux regroupe diverses organisations qui se consacrent à la musique nouvelle : Arts aux marges, Innovations en concert, Mardi Spaghetti, Réseau Canadien pour les Musiques Nouvelles, Interzone Editions et No Hay Banda. Cette soirée en est un parfait exemple, avec une première de l’œuvre collective Dans les ombres dansent des figures lumineuses par l’Ensemble Déplacer d’l’air.

L’ensemble est composé de six saxophonistes : Elyze Venne-Deshaies (direction artistique et musicale, saxophone ténor), Geneviève Gauthier (saxophone alto), Naomi McCarroll-Butler (saxophone alto), Andrea Prochazka Mercier (saxophones soprano et ténor), Valérie Lachance-Guillemette (saxophone ténor et baryton) et Geneviève D’Ortun (saxophone baryton, bande sonore).

Alors que les six musiciennes sont installées au niveau du public assis, l’artiste Égypto-Québécois Nour Symon est sur la scène devant une grande toile. Symon interagit avec la musique en peignant avec des branches ou projetant de la peinture à l’aide d’une seringue. L’utilisation de pistolets à confettis permet également d’ajouter de la matière dans la peinture.

La structure de la musique est dirigée par des schémas sibyllins qui nous sont présentée en arrière de la scène. Cela ne nous empêche pas de goûter à l’entrelacement des lignes de saxophones en dehors du concept : lorsqu’on évoque la musique interprétée par les six saxophonistes, on ne parle pas seulement d’un ensemble de souffles harmonieux, mais d’une véritable architecture sonore où chaque ligne de saxophone devient un fil essentiel d’une tapisserie musicale complexe et captivante. La musique moderne, dans ce contexte, prend une dimension particulièrement riche et audacieuse, exploitant au maximum le potentiel expressif et technique de cet instrument.

L’un des aspects les plus fascinants réside dans la capacité de cet ensemble à générer une palette sonore vaste. Du soprano, dont la voix aérienne et perçante peut tisser des mélodies cristallines ou des strates harmoniques éthérées, au baryton, dont la profondeur et la résonance ancrent l’ensemble avec des basses grondantes ou des ostinatos hypnotiques, chaque saxophone apporte sa couleur unique. Entre les deux, les altos et les ténors comblent l’espace avec des timbres chauds, des lignes mélodiques sinueuses ou des motifs rythmiques incisifs.

L’entrelacement de ces six voix permet la création de textures riches, ajouté à des déplacements dans le public pour étendre la capacité de spatialisation de l’ensemble. Imaginez des moments où les saxophones se fondent en un seul bloc sonore, créant des accords denses et massifs qui vibrent dans l’espace. Puis, soudain, cette masse se désagrège en six voix distinctes, chacune explorant un chemin indépendant avant de se retrouver pour un nouveau point culminant. C’est un jeu constant de fusion et de différenciation, où l’on perçoit tour à tour l’unisson parfait, le canon vertigineux, le contrepoint complexe ou l’harmonie dissonante.

Pour enrichir davantage cette tapisserie sonore, les instrumentistes n’hésitent pas à explorer les techniques de jeu étendues propres au saxophone. On entend une richesse harmonique imprévue et parfois un grain sale ou bruité qui contraste avec les timbres plus purs. Les souffles et les bruits de clés deviennent des éléments rythmiques ou texturaux, élargissant la définition même de la musique. L’utilisation de différents effets apportent une agressivité contrôlée ou une agitation frémissante.

L’entrelacement de ces techniques crée un univers sonore unique. Imaginez un souffle rythmique d’un baryton se mêlant à un multiphonique dissonant d’un alto, tandis que les sopranos tissent une mélodie flottante au-dessus. C’est une proposition où la sonorité prime, où chaque note et chaque effet sont choisis pour leur impact textural et émotionnel.

Avec une mise en scène fouillée et originale, l’ensemble a su nous présenter une proposition sonore pertinente et touchante avec un travail constant des sonorités multiples des saxophones.

Julie Richard / Liberté Anne /Yesenia Fuentes : une proposition recherchée et touchante

Pour ouvrir la soirée, on retrouve des musiciennes bien connues de la scène montréalaise avec un trio composé de Julie Richard (tuba, conque), Liberté Anne (piano, voix) et la danseuse Yesenia Fuentes.

Le piano de Liberté Anne est principalement joué avec la technique du fil de pêche si cher au guitariste Brad Barr, à savoir qu’un fil tiré autour d’une corde du piano permet de donner un son continu ou rythmé suivant la cadence du fil se rapprochant de l’utilisation d’un archet. De son côté, Julie Richard utilise une conque qu’elle souffle sous le couvercle du piano, offrant une sonorité particulière ainsi qu’une sensation de proximité avec la pianiste.

Au fil de l’évolution de la musique, Julie Richard utilise son tuba pour de longues notes basses ou des interventions plus rythmiques. Liberté Anne apporte parfois des notes de claviers plus traditionnelles dans le registre aiguës et chante une mélopée aux paroles indistinctes.

La danseuse Yesenia Fuentes propose une partition où elle commence recroquevillée sur le côté gauche de la scène pour doucement se retrouver dans des mouvements au sol avant de se redresser dans un long et lent épanouissement qui semble douloureux pour se retrouver debout sur une chaise dans le public. Un sentiment d’apaisement résigné semble alors se faire alors qu’elle se retrouve à sa place initiale.

Encore une fois, la proposition nous a happée et la simplicité apparente de l’orchestration a laissé une grande place quant à l’interprétation des thèmes présentés, ce qui reste une force de la musique.

Photos en vrac

Ensemble Déplacer d’l’air

Julie Richard / Liberté Anne /Yesenia Fuentes

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