Enfant Insignifiant ! de Michel Tremblay | Hélas pas le meilleur de Tremblay…
Le nom de Michel Tremblay a beau figurer dans les dictionnaires Larousse et Robert, avoir été honoré par plus d’une soixantaine de prix, être placé tellement haut sur le piédestal de notre paysage littéraire et théâtral où il s’est hissé à coups de 28 pièces de théâtre et autant de romans, qu’il est difficile de conserver un esprit critique vis-à-vis de son œuvre emblématique et intouchable. Pourtant, Tremblay n’a pas écrit que du bon Tremblay, même si l’encensoir était toujours prêt. Sa plus récente pièce, Enfant insignifiant!, en création mondiale chez DUCEPPE, en est à regret un exemple.
La pièce est une adaptation pour la scène de son plus récent récit autobiographique, Conversations avec un enfant curieux, le cinquième dans cette lignée où Michel Tremblay est tellement en admiration devant Michel Tremblay que l’auteur se prend à son propre piège de nombrilisme et de narcissisme, à force d’être systématiquement adulé et porté aux nues.
La structure dramatique de sa pièce est si pauvre qu’on croirait être placé devant un débutant. Ce n’est pas une comédie, même si on rit avec lui des bondieuseries de notre enfance, ce n’est pas non plus un drame ni une tragédie portant en soi tout un peuple. C’est au mieux un divertissement inoffensif et un brin naïf.
Le comédien Henri Chassé, qui est systématiquement de toutes les scènes dans la pièce, incarne en le nommant Tremblay lui-même qui se remémore son enfance sur la rue Fabre, en plein Plateau Mont-Royal dans les années 50. Mais Michel Tremblay le personnage est plutôt mince, se caractérisant uniquement par les nombreuses questions que l’enfant obstiné adresse à son entourage, dans le but de comprendre l’inexplicable. Le jeu d’Henri Chassé, à force de « pourquoi? », livré pareil à 6 ans qu’à 13 ans, paraît monocorde de par la simplicité du rôle et son manque d’envergure toute théâtrale.
Le metteur en scène Michel Poirier, qui a retravaillé le texte, situe l’action à Key West où Michel Tremblay se retire systématiquement pour écrire depuis les trente dernières années. Le scénographe Olivier Landreville en a profité pour créer le décor idyllique d’un quai en bord de mer, et le résultat est saisissant. L’écrivain, pieds nus et habillé en mou, s’éloigne de son ordinateur pour interpeller une série de personnages secondaires qui autrement restent muets en fond de scène.
C’est principalement la mère de l’auteur, Nana, que le jeune Michel bombardera de ses questions enfantines. Le rôle est défendu par Guylaine Tremblay que tout le monde aime, quoi qu’elle joue. Elle y met ici encore beaucoup d’ardeur, mais impossible de ne pas la comparer à la grande et regrettée Rita Lafontaine, claquant de la main et du talon, juste assez autoritaire au coin de la bouche et dans le regard pour se faire écouter et accepter comme matriarche perdant parfois patience.
Gabriel, le père, est joué superficiellement par Sylvain Marcel, n’ayant que peu de ressort dramatique pour pouvoir se démarquer. Même chose pour Victoire, la grand-mère du petit Michel jouée par Danielle Proulx en remplacement de Pierrette Robitaille, et qui elle aussi manque de texte. Même chose encore pour l’amie Ginette jouée par Gwendoline Côté. Albertine, pourtant évoquée, n’apparaîtra jamais. C’est plutôt Isabelle Drainville qui créera la surprise dans le rôle de la vendeuse et celui de Mademoiselle Karli. Son jeu est juste, et efficace. Comme aussi celui de Michelle Labonté en sœur directrice habillée en sœur, ce qui par contre détonne en bord de mer. Et encore là, les coups de règle et les châtiments punitifs envers les enfants à l’époque sont à peine effleurés.
Le mot « niaiserie » revient souvent dans le texte, Nana et son futur écrivain de fils argumentant constamment sur le sens de ceci ou de cela. Ça va de la taille du petit Jésus dans la crèche de Noël, des enfants de Fatima et des secrets révélés par la Sainte-Vierge, de poupées à découper, du sexe du Saint-Esprit, du méchant roi Hérode, de fleurs volées au parc La Fontaine, du chapelet récité en famille « au » radio par le Cardinal Léger, du père qui a acheté le pont Jacques-Cartier, ou encore du Seigneur lui-même, un Palestinien blond aux yeux bleus… Les référents sont le plus souvent aussi anecdotiques et mièvres que le sort de Peter Pan ou celui de Bambi, en passant par les radioromans et une admiration inconditionnelle pour Lucille Ball.
Enfant insignifiant! est la douzième pièce de Michel Tremblay présentée chez DUCEPPE en près de cinquante ans d’écriture. Pour la plupart, des pièces fortes, à portée universelle autant que portraits identitaires de la société d’alors qu’il a contribué à faire évoluer. Dans le programme, le metteur en scène Michel Poirier nous dit : « Je crois que le personnage de Nana, dans 300 ans, sera joué comme on joue Phèdre ». Nana peut-être, mais sûrement pas cet enfant insignifiant.
- Artiste(s)
- Enfant insignifiant!
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Théâtre Jean-Duceppe
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