Encore une fois, si vous permettez chez Duceppe | Guylaine Tremblay brille
Impossible de ne pas penser à Rita Lafontaine en voyant briller Guylaine Tremblay dans Encore une fois, si vous permettez de Michel Tremblay chez Duceppe. Et ce n’est pas un défaut, bien au contraire. La comédienne montre la même autorité bienveillante dans ses inflexions de voix et sa démarche que Rita Lafontaine qui a créé le rôle de Nana, la mère de l’auteur, il y a 18 ans au Rideau Vert.
Lors de l’hommage rendu lundi matin au même théâtre à la mémoire de la grande comédienne disparue si abruptement, Guylaine Tremblay disait que malgré elle, elle avait attendu que Rita Lafontaine vienne la saluer dans sa loge le soir de la première. La série de représentions chez Duceppe est d’ailleurs dédiée, comme nous l’indique la voix de Michel Dumont avant le lever de rideau, à l’égérie de Michel Tremblay et d’André Brassard.
Écrite trente ans après Les Belles-Sœurs, l’action de la pièce se passe sur la rue Cartier, près de l’avenue Mont-Royal, en plein cœur du Plateau, entre 1952 et 1962. On ne connaît pas l’âge de la mère, Nana, mais le fils lui, qui préfigure l’auteur, a successivement 10 ans, 16 ans, 18 ans et 20 ans. Avoir choisi Henri Chassé, qui est plus âgé que sa mère, est la première chose qui cloche dans cette production. Il aurait fallu prendre un jeune comédien d’une vingtaine d’années pour rendre crédible le personnage du Narrateur.
Guylaine Tremblay se retrouve donc à avoir toute la pièce sur ses épaules. Elle n’a pas non plus l’âge du personnage, mais ainsi coiffée, et habillée par la costumière de talent Mérédith Caron, on y croit. Elle claque du talon, elle s’emporte, elle exagère, elle invente, en même temps qu’elle est tout ce qu’il y a de plus terre à terre dans sa façon d’élever son fils qui, d’elle, apprendra à devenir l’écrivain qui compte maintenant à son actif 27 pièces de théâtre. «Je t’ai trop laissé rêver…», dira néanmoins Nana à son fils.
Encore une fois, si vous permettez a fait le tour de monde. Nana aura été successivement Chinoise, Noire, Amérindienne, Mexicaine et plusieurs fois Sud-Américaines, comme quoi le personnage atteint à l’universel. Mais ce n’est pas parce que le nom de Michel Tremblay figure dans les dictionnaires Larousse et Robert que ses textes sont dépourvus de mièvreries. L’admiration de Nana pour la nouvelle reine d’Angleterre, ou la cuisson de son roast-beef, ou encore les soupers avec la tante Gertrude dont le mari ne parle que de Fernandel, en sont de brefs exemples. Les traits d’humour, en effet, sont souvent simplistes.
Olivier Landreville a conçu un décor astucieux, pour contrecarrer l’immense scène du Théâtre Duceppe. Pour bien faire sentir le huis clos entre la mère et le fils, il a dressé un mur orné des boiseries du temps, et créé une longue jetée s’avançant vers le public, comme une passerelle en forme de damier noir et blanc. Mais en offrant pour tout accessoire qu’une table de cuisine et deux chaises, cela ne suffit pas à traverser toute l’heure et demi que dure la pièce.
Sinon, la langue de Tremblay, bien sûr, avec des mots comme «tordeur», «bavasser», «sacrage», «sandwich au baloné», «suiveux» ou «parlage», est souveraine. On sent aussi toute son admiration pour la grande comédienne qu’a été Huguette Oligny, et qu’il situe dans un téléthéâtre comme il n’en existe plus. Avec sa propension au drame et à l’exagération, Nana aime les livres, les histoires, ce qui ne manquera pas de provoquer le goût de la lecture chez le futur écrivain qui ne comprend pas pourquoi il y a autant d’enfants abandonnés dans les romans français. Depuis toujours d’ailleurs, cet enfant pose beaucoup de questions à sa mère parfois désarçonnée.
Comme Nana sort et revient à quelques reprises, il aurait été de meilleur ton qu’elle ne porte pas la même robe rouge pendant tout cet intervalle de 10 ans. Quant au Narrateur, le pauvre, il est invariablement assis à la table de cuisine presque du début à la fin, ce qui démontre bien le manque d’imagination du metteur en scène Michel Poirier. La scène finale, où Nana monte au ciel, est complètement tirée par les cheveux. Comme si le fils avait imaginé, fièrement, une mort théâtralisée pour sa mère, et s’attendait à ce qu’on l’en félicite.
Malgré tout, Guylaine Tremblay, qui n’était pas montée sur scène depuis quatre ans, réussit à nous émouvoir et à être attachante, car les femmes dans l’œuvre de Michel Tremblay portent la Terre sur leurs dures épaules de battantes. Et «les mères, ça sait toute!» a écrit si justement l’auteur dont la mère s’est appelée ailleurs «la grosse femme» ou encore Rhéona.
Et, parce que c’est du Michel Tremblay, et que depuis près de 50 ans son œuvre nous parle de nous, des supplémentaires de la pièce ont été ajoutées les 10, 11 et 12 mai. Enfin, une tournée dans une trentaine de villes au Québec est également prévue pour 2017.
- Artiste(s)
- Encore une fois, si vous permettez
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- Montréal
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- Théâtre Jean-Duceppe
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