Orchestre Symphonique de Montréal

Dvořák, Schumann et Schubert à la Maison Symphonique | Un concert épique sous le signe du Romantisme

Jeudi soir, l’Orchestre Symphonique de Montréal présentait un programme original à même de satisfaire les mélomanes les plus avertis, comme les amateurs. Au sein de la Maison Symphonique, semblable à une coque de bateau ailée, le grand Kent Nagano ouvrait la soirée avec l’ouverture de la Harpe Magique de Schubert (1797-1828), avant de poursuivre avec le Concerto pour piano en la mineur de Schumann (1810-1856), et de conclure ce festival musical en dirigeant la 7e symphonie de Dvořák (1841-1904). Ce programme hautement romantique, place Schumann et Dvořák dans la lignée directe de Schubert, dans une expérience toute en contraste, opposant l’intimité du concerto de Schumann au caractère dramatique et grandiose de la symphonie de Dvořák. Le spectateur en ressort secoué et envoûté.

Un programme original et éblouissant

Le programme choisi par l’O.S.M. est donc à la fois un hommage à Schubert et une traversée du romantisme, tout au long du 19e siècle. On assiste avec les œuvres présentées au développement d’une nouvelle musique, qui se détache du classicisme, tout en se développant grâce à ses codes formels. Le choix de la première pièce est toutefois une surprise : Schubert est surtout connu pour ses lieder, ses compositions au piano et sa musique de chambre, mais on connaît mal ses tentatives d’imprimer sa marque dans le genre de l’opéra. Sa mort précoce à l’âge de 31 ans l’empêcha de perfectionner ces essais. Après cette découverte, le spectateur est directement ramené vers une œuvre phare, chère à de nombreux mélomanes : le Concerto pour piano en la mineur, seul concerto écrit par Schumann, joué par les plus grands pianistes, de Evgeni Kissin à Martha Argerich, en passant par Hélène Grimaud et Khatia Buniatishvili. Le pianiste Martin Helmchen en livre une interprétation très réussie, qu’il clôt généreusement par un rappel, enthousiasmant ainsi le public de la salle symphonique. Après l’entracte commence la 7e symphonie de Dvořák et la salle, déjà conquise, semble littéralement envoûtée, accrochée à la baguette de Kent Nagano qui se déplace tel un danseur. Moins connue que la 9e symphonie ou Symphonie du Nouveau Monde, la 7e Symphonie est la grande symphonie tragique de Dvořák, ultime hommage formel au style classique, souvent comparée à la 4e symphonie de Brahms. Il faut ajouter qu’à la diversité d’instruments nécessaires pour jouer cette symphonie, se joint une « octobasse » – exceptionnel modèle parmi les trois répertoriés dans le monde – trônant à gauche de la scène du haut de ses 3,6 M.

 

Le Concerto en la mineur et la 7e symphonie, entre histoire d’amour et grande Histoire

Les récits de la composition du concerto de Schumann et de la symphonie de Dvořák sont particulièrement touchants et intrigants. Bien que le Concerto en la mineur de Schumann soit le seul qu’il ait écrit, ce projet était mûrement réfléchi, au centre de ses réflexions sur ce que devait être la musique de son temps. Il rêvait notamment de faire dialoguer de manière plus riche et plus souple le piano et l’orchestre, essayant de trouver un « juste milieu entre symphonie, concerto et grande sonate ». Il se mit à l’œuvre et dédia une Phantasie pour piano et orchestre à sa femme Clara, à laquelle vinrent s’ajouter en 1845 deux mouvements qui forment aujourd’hui le fameux concerto. Le thème dominant de l’œuvre contient quatre notes : do, si, la, la, (C-H-A-A, en allemand), qui renvoient directement au nom « Chiara », transposition italienne du nom de sa femme, Clara. Alors que l’œuvre de Schumann semble évoquer un romantisme lié aux affects amoureux, le caractère hautement dramatique et tragique de la 7e Symphonie renvoie à des aspects historiques et politiques. Bien qu’éloigné des affaires politiques, Dvořák écrit en tête de son manuscrit que le premier thème du premier mouvement lui est venu du bruit produit par l’entrée en gare d’un train cérémonial, en 1884. Il se trouve que ce train menait à Prague des Tchèques qui souhaitaient soustraire la Bohème-Moravie à l’emprise des Autrichiens. Or, ce projet politique fut rejeté par l’empereur François-Joseph 1er, ce qui peut expliquer le caractère sombre de cette symphonie. Par ailleurs, la question des identités politiques et musicales est présente dans cette œuvre qui se réapproprie Schubert, Brahms et Wagner – notamment des accords de Tristan – tout en mêlant la musique populaire tchèque et des rythmes de valse. Le public germanophone de l’époque était conquis par Schumann, mais, dans un contexte politique où les nationalismes étaient exacerbés, il se sentait toutefois menacé par un compositeur qui n’était plus seulement catégorisé comme folklorique, mais international, à la hauteur des plus grands compositeurs allemands.

* Photo en entête par Giorgia Bertazzi.

Vos commentaires