Demain matin, Montréal m'attend

Demain matin Montréal m’attend au TNM | Un pari gagné d’avance

La grande première de Demain matin, Montréal m’attend jeudi soir au TNM dans le cadre des FrancoFolies, s’est déroulée devant un public gagné d’avance. Dès le numéro d’ouverture, où se mêlent au défilé des colorés personnages castagnettes et air d’opéra, on pouvait déjà ressentir la flamboyance de ce qui allait suivre.

Le trio gagnant formé par Michel Tremblay au texte, François Dompierre à la composition musicale et René Richard Cyr à la mise en scène aura su brillamment insuffler une nouvelle vie à cette œuvre emblématique créée dans la mise en scène d’André Brassard au Jardin des Étoiles de Terre des Hommes en 1970, avec la gande dame de théâtre Denise Filiatrault dans le rôle pivot de Lola Lee qui n’entend pas laisser sa place, au top de sa carrière minable d’artiste de cabaret, à sa jeune sœur Louise fraîchement débarquée à Montréal avec l’intention d’imiter la star de la Main.

Photo par Yves Renaud.

Photo par Yves Renaud.

C’est Hélène Bourgeois Leclerc maintenant qui joue la pétulante Lola Lee, et elle le fait avec une grande justesse dans ce théâtre musical où Michel Tremblay avait été le premier auteur québécois à s’intéresser au milieu féroce des étoiles des cabarets miteux et des bordels du Red Light de Montréal aujourd’hui disparu. La comédienne, avec ses moues éloquentes d’ex-Bougon, fait la démonstration d’une voix chantée qui a du cran et du chien, juste assez pour qu’on adopte avec empathie et ravissement son personnage en fuite qui depuis 15 ans cache honteusement son vrai nom de Rita Tétrault.

Mais la surprise vient de l’aplomb remarquable d’une jeune comédienne de la promotion 2016 de l’École nationale de théâtre, Marie-Andrée Lemieux, pour qui Louise Tétrault est son premier rôle sur les planches, et pas n’importe lesquelles, celles du TNM où se mesurent les plus grandes pointures.

Plutôt que terrifiée par l’ampleur du défi, elle réussit à s’imposer autant par son jeu que par le velouté de sa voix qui lui a valu le trophée Lucille Dumont dans un concours d’amateurs de son patelin éloigné. Ce personnage, plein d’espoir pour se sortir de la médiocrité de sa vie en devenant une vedette dans la grande ville, ignorant tout de la rançon de la gloire, est une chance inouïe pour Marie-Andrée Lemieux de se faire connaître.

Photo par Yves Renaud

Photo par Yves Renaud

Dans le rôle de la Duchesse de Langeais, créé par le regretté Claude Gay qui a fréquenté le théâtre de Tremblay à maintes reprises, on retrouve dans ce casting étonnant l’humoriste Laurent Paquin se tirant très bien d’affaire. Ma tante Édouard, comme on l’appelle, revient d’un exil au Mexique, déçu que personne de sa faune grotesque de la Main ne soit venu l’accueillir à l’aéroport. Et Laurent Paquin chante aussi de très belle façon, affublé d’un long boa mauve glissant sur son imposante robe à crinoline mauve aussi.

Benoît McGinnis, doué comme toujours, passant aisément du rôle d’un Caligula monstrueux sur cette même scène à celui de Marcel-Gérard, est méconnaissable en colporteur des ragots de vedettes dans les petits journaux à potins. Avec sa perruque blonde bleachée, son habit jaune et ses chaussures à haut talons tout aussi jaunes, tenant ridiculement son inséparable caniche dans le creux du bras, il se fera traiter à un moment donné de pop-sicle à la banane. Et lui aussi chante juste.

Mais l’autre surprise, véritable coup de cœur de cette solide distribution, vient de Kathleen Fortin en Betty Bird, tenancière d’un bordel en déclin où Lola Lee jadis attirait la clientèle sous le nom de Mary Gold. Elle est tout simplement radieuse dans sa robe longue à paillettes, bardée de bijoux et affichant une coiffure relevée de madame avec des boucles d’oreilles scintillantes qui la rendent altière.

Doublée d’un réel talent de comédienne qui habite complètement son personnage, Kathleen Fortin chante aussi divinement bien. L’un des moments les plus touchants de la soirée d’ailleurs se produit quand elle chante a capella une complainte bien sentie évoquant sa jeunesse passée. Elle est magistrale de réalisme sublimé dans ce monde dur de travestis et de guidounes qui se bitchent constamment entre elles.

Photo par Yves Renaud.

Photo par Yves Renaud.

Car c’est bien la cruauté des rapports humains dans ce monde illicite et malfamé du show-business de bas étage que Michel Tremblay a voulu montrer. Lola Lee traîne sa jeune sœur dans les bas-fonds du night-life de ce Montréal des années 60 qu’elle fréquente pour la décourager de suivre ses pas, et la faire aller retrouver raide sa petite job de waitress innocente au Saint-Martin BBQ.

René Richard Cyr, en terrain connu après avoir monté entre autres Le Chant de Sainte Carmen de la Main et Belles-Sœurs de Tremblay, a su saisir l’âme de cette œuvre dramatique en lui conservant autant sa superbe que sa sensibilité première. Il en va de même pour la musique de François Dompierre qui n’a pas pris une ride, interprétée live par six excellents musiciens cachés en fond de scène. Et le chœur des huit comédiens-chanteurs qui ponctuent l’action tout au long de la pièce est aussi terriblement efficace.

Il faut souligner toute l’amplitude du travail artistique derrière la conception des fabuleux costumes de Judy Jonker, les maquillages spectaculaires d’Angelo Barsetti, et les coiffures et perrruques outrancières de Carol Gagné. Jean Bard, quant à lui, a conçu un décor sobre avec un cadre de scène coloré qui ne rivalise pas avec le clinquant des costumes, quoique surélevé, ce qui fait que le public des premières rangées ne peut pas voir les comédiens de pied en cap, et encore moins les musiciens derrière.

Enfin, les chorégraphies enlevantes et très professionnelles de Sylvain Émard font aussi partie d’un tout réussi, et étonnent même, comme dans la scène des chaises berçantes qui est d’une belle inspiration.

Demain matin, Montréal m’attend, qui fait presque deux heures sans entracte, sera présentée aux FrancoFolies de Montréal jusqu’au 25 juin, pour ouvrir ensuite en septembre la saison régulière du TNM qui ajoute déjà deux supplémentaires, avant d’entreprendre en 2018 une tournée qui amènera cette brillante production dans pas moins de 16 villes au Québec avec 27 représentations. Lola Lee n’a donc pas fini de traiter Betty Bird de « Ma sacramente! ».

 

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