Après moi, le déluge

Critique théâtre: Après moi, le déluge au Quat’Sous

Le Quat’sous nous convie jusqu’au 18 mars à une fable unique en son genre; Après moi, le déluge, traduction d’une pièce de la Catalane Lluisa Cunillé par Geneviève Billette.  Sous la direction de Claude Poissant,  Germain Houde et Marie-France Lambert tiennent les rames de ce récit où les absents en ont long à dire.

 

Un charmant homme d’affaires quinquagénaire (Germain Houde avec cheveux) regagne sa chambre d’hôtel congolaise en racontant des blagues convenues à une interprète venue pour traduire un entretien qui s’avéra pour le moins surprenant.  La femme est attirante, mais détachée, au point qu’on se demande si elle a un intérêt autre que le soleil, comme elle se plaît à le répéter.  Personnage énigmatique donc, joué magnifiquement par Marie-France Lambert, franchouillarde et désinvolte,  qui flanchera si subtilement sous l’émotion qu’il faudra être attentif au moindre détail.  De par la nature de son travail, elle ne doit pas se laisser aller au jugement, surtout pas à la dénonciation ou à l’emportement.

Le portrait d’une Afrique meurtrie

Pourtant, la nature de la rencontre dont elle servira d’intermédiaire ferait sourciller plus d’un.  Un Congolais – anonyme puisqu’absent de la scène- désire que l’homme d’affaires prenne son fils avec lui pour en faire un champion de foot en Europe, ce que celui-ci refuse, n’y connaissant rien au foot.  Un joueur de soccer ou un valet, pourvu qu’il quitte le pays pour que son père meurt en paix.   Ainsi, durant plus d’une heure, on assiste au débat surprenant qu’oppose un homme prospère, mais célibataire et vieillissant à un père boiteux et souffrant, qui ferait tout pour que son fils s’évade de la folie et la corruption que lui assure l’avenir.  Dans la bouche de l’interprète qui rend les mots presque automatisés, les récits de guerre où des enfants se font coupés les tempes pour que la drogue fasse effet rapidement, où ces mêmes enfants drogués tuent tous ceux qui se trouvent sur leur passage, ces récits semblent dénués de sens, comme atténués pour mieux insurgés.  Le portrait que dresse Cunillé de la République démocratique du Congo est celui de l’Afrique exploitée, l’Afrique dépouillée et violentée, de sa colonisation jusqu’à la découverte de sa ressource première tant convoitée, le coltan.

Ce minerai, utilisé dans la fabrication de plusieurs appareils modernes, justifie la présence de l’homme européen dans la vie de l’Africain, au théâtre comme dans la réalité.  Source de beaucoup de conflits, l’exploitation du coltan par les Occidentaux inspire l’expression « Après-moi, le déluge », comme quoi les conséquences importent peu, nous n’y serons plus lorsque la guerre éclatera et prendra vos enfants. Après ce huit clos mystérieux qui peut confondre ceux qui ne sont pas curieux du sort du Congo, on se souvient que l’inconséquence a un prix, que tout le monde paiera un jour.

On salue le travail des interprètes et du metteur en scène, qui ont dû jongler avec l’absence et faire parler l’Afrique qui n’est nulle part tant qu’on ne l’a pas vécue.  Et que dire de l’issue de la conversation des deux hommes!

En conclusion, ces quelques mots de Claude Poissant : « Plus de chavirement, ni de naufrage, mais une implosion, une succion jusqu’à disparaître. Jusqu’aux fantômes. »

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