corde. raide à l’Espace GO | La justice réparatrice transposée dans un futur imaginé
Du 19 septembre au 15 octobre 2023, ESPACE GO présentera la pièce corde. raide. Sors-tu? s’est entretenu avec la metteuse en scène Alexia Bürger et avec la dramaturge Alexandra Pierre, qui a tout au long du processus de création contribué à nourrir les réflexions sur les thèmes du spectacle.
corde. raide, de debbie tucker green, dans une traduction de Fanny Britt, met en scène l’histoire de Trois, une femme noire (incarnée par Stephie Mazunya) qui a vécu un crime violent. Quelques années plus tard, elle se retrouve à huis clos avec deux fonctionnaires (Une et Deux, interprétés par Eve Landry et Patrice Dubois) pour décider de la sentence de son agresseur.
Dans un futur proche où la peine capitale aurait été rétablie, l’autrice fait s’entrechoquer les thèmes de la violence et de la justice.
DES THÈMES INSCRITS DANS LE PRÉSENT
La pièce de debbie tucker green, écrite en 2015, sous-entend une certaine justice réparatrice, où la victime serait au centre, où l’on ferait tout, très maladroitement, pour que la victime soit « confortable » et on se rend rapidement compte que tout est décidé d’avance, qu’on ne demande à Trois que sa participation docile », explique Alexandra Pierre.
« Il s’agit de l’incapacité du système de justice à faire face de façon consistante et sérieuse à des injustices historiques », complète celle qui s’est sentie interpellée par cette problématique.
corde. raide met en scène des fonctionnaires qui tentent de bien faire, mais qui finissent par être maladroits, voire violents, et sur une femme noire qui doit « composer avec ces gens qui marchent sur des œufs », comme le décrit la dramaturge.
La pièce fait également ressentir la colère de la victime : « Il y a souvent ce cliché de la femme noire en colère, qui est frustrée, désagréable, on ne sait jamais trop pourquoi. debbie tucker green, elle, se réapproprie un peu ça, ou en tout cas elle détourne ça en disant que Trois [la victime] a de vraies raisons d’être en colère », soutient-elle.
REDIRIGER LE PUBLIC VERS LES BONNES QUESTIONS
corde. raide dispose de son lot de mystères. Trois a vécu un crime traumatisant, dont les détails ne sont jamais complètement révélés. Le public comprend pourtant son incroyable violence et l’étendue des séquelles que cet événement a laissées sur Trois, grâce à une écriture qui s’attarde autant au rythme des répliques qu’aux silences des personnages.
« L’écriture de debbie tucker green est nerveuse, extrêmement musicale, souvent grinçante. Par ses variations et ses répétitions, elle sait rendre l’absurdité d’une bureaucratie qui se mord la queue en se heurtant sans arrêt à la vulnérabilité humaine », explique la metteuse en scène Alexia Bürger.
« Il s’agit d’un théâtre engagé, dans ce qu’il fait ressortir des aberrations du système et de ses injustices fondamentales, mais l’autrice n’est jamais didactique ou moralisatrice. Elle passe par l’expérience intime, la perspective personnelle de son personnage central. Elle laisse de la place au public. Elle ne cherche pas à lui imposer agressivement un message, elle nous donne à voir les complexités et les contradictions humaines ».
Pour faire ressortir la brutalité de la situation, Alexia Bürger mise notamment sur l’humour « corrosif », inhérent à l’écriture de tucker green. « Personnellement, comme spectatrice, c’est la meilleure façon de me confronter à des vrais mal-êtres ou à des sujets difficiles », ajoute-t-elle. « Quand on rit, on a un niveau d’ouverture qui fait qu’on reçoit différemment la dureté d’un propos, ça nous permet d’absorber davantage sa brutalité et la violence de la réalité qui nous est présentée ».
Alexandra Pierre partage cette idée en évoquant une approche jubilatoire. « Ça désarme en fait, ça dédramatise, et le rire permet de réaliser cette absurdité-là ».
C’est un moyen aussi de se rapprocher des personnages, de mettre momentanément en veilleuse notre jugement pour se reconnaître en eux, même lorsque ce n’est pas flatteur du tout. Alexia Bürger s’est donc un peu reconnue dans les maladresses de Une et Deux, dans la discordance entre leurs bonnes intentions et leurs actes, qui contribuent à faire fonctionner un système aussi hypocrite qu’inadéquat. Elle a ainsi eu l’idée d’intégrer la claquette aux mouvements des deux fonctionnaires, en travaillant avec la danseuse et chorégraphe Majiza Philips. Un langage physique qui, par moment, provoque « un stress, une violence sonore sur le personnage [de Trois] ».
corde. raide fait évidemment écho aux discussions des dernières années sur le racisme systémique, la justice au temps de #MeeToo, les relations entre État et communautés noires. À travers la perspective spécifique de Trois, femme noire victime d’un crime innommable, la pièce ouvre une réflexion nécessaire sur l’origine et les conséquences de ces violences sociales qui se perpétuent dans nos sociétés.
Pour obtenir des billets pour l’une des représentations de corde. raide, c’est ici.
* Cet article a été produit en collaboration avec ESPACE GO.
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