Conan

Conan, Dopethrone et North aux Katacombes | Soirée salissante

Le groupe anglais Conan s’est arrêté à Montréal pour le lancement de l’album « Revengeance », accompagnés des formations Dopethrone de Montréal et North de Tucson en Arizona lors de cette tournée nord-américaine. Les trois trios ont bien su nous vautrer dans la fange et les sables mouvants du sludge/stoner/doom metal…

Boue exfoliante

North ouvre le bal, avec un son plein de tambour lourd et appuyé. Après que le guitariste ait joué quelques notes à saveur shoegaze et post-rock, le chanteur-bassiste et le batteur le rejoignent. D’emblée, on remarque qu’il a beaucoup de distorsion dans la basse, ce qui est bienvenu dans des chansons aussi épurées. On retrouve chez le chanteur une bonne présence de scène, et une excellente voix criarde et aigüe qui aurait pu devenir redondante, mais qui a été sauvée à la cinquième pièce par un chant clair bien accueilli. Le public, un peu endormi après la première chanson, acclame tout de même l’ensemble du groupe. Plusieurs moustachus aux cheveux longs obéissent peu à peu au rythme lourd.

La guitare est assez diversifiée avec des riffs hypnotisants qui arrachent le cœur, suivis de bouts plus pesants dans lesquels on se noie. On dirait Gojira au ralenti. Il y a quelques changements de tempo qui assurent un dynamisme. Malgré que le guitariste soit un peu taciturne, le son est raffiné. De son côté, le batteur fait des mouvements amples, voire exagérés, mettant l’accent sur l’émotion. L’ambiance est suffocante, mais on en redemande.

Beaucoup de cheveux se font aller, et le public ne cesse de s’agrandir – ce qui est surprenant pour un jour de semaine. On s’enfonce dans cette matière brute, côtoyant les vers. S’imposent à notre esprit des images de feuilles mortes, d’automne et de pluie. Le poids du monde semble se retrouver sur nos épaules, qui s’affaissent.

On a eu droit à une musique instinctive, qui nous déverse des longues coulées de boue lisses et exfoliantes. Digne d’un traitement royal, d’un enveloppement corporel stylisé… On veut s’enliser dans le mélange épais et lourd de North, et se rincer de toutes nos saletés. Une musique détoxifiante, régénératrice.

Le joker et l’infortunée

Retour en sol montréalais avec Dopethrone, ces fiers représentants du quartier d’Hochelaga. Le guitariste-chanteur de Dopethrone est charismatique, et ce, avant même de jouer, lui qui fait quelques blagues avec le public. Ce crieur à longues dreads commence sa performance avec un rire sardonique, qu’il répétera maintes fois tout au long du spectacle, tel un sombre joker. La lenteur s’impose, ce soir; on prend le temps d’installer le mood.

Entre les chansons, l’énergumène hirsute envoie le majeur au public et l’insulte, en français et en anglais, mais les gens trouvent cela drôle et notre homme est tout sourire. Il joue beaucoup avec ses expressions faciales, tordant son visage en un rictus étrange, s’exorbitant les yeux. Ses solos de guitare ont des sonorités presque blues, et l’ambiance devient plus ludique que lourde. Le bassiste a une bonne présence de scène, malgré ses riffs simplistes avec un plectre, et le batteur est efficace et souriant. Les chansons sont faites en suivant une structure très similaire d’un bout à l’autre du spectacle, mais ce n’est jamais trop ennuyeux.

Sur la septième chanson, Julie Unfortunate débarque pour une performance surprise. Dopethrone serait encore meilleur si cette femme se joignait à ses rangs! Elle a une excellente technique vocale: son scream aigu ne paraît pas forcé de la gorge, comme ça peut arriver quelque fois. Et quelle prestance! Elle fouette l’air de ses longs cheveux qui lui arrivent à la taille. Son visage presque entièrement tatoué de motifs tribaux expulse des sons inhumains.

Il y a un nouvel invité sur la huitième pièce, qui déverse sa bière sur les gens devant lui… et dans la bouche du guitariste-chanteur, qui recrache le tout, telle une fontaine alcoolisée. La foule entame un sonnet vers la déchéance : «Smoke, drink, die». Puis, le guitariste-chanteur insulte la foule une dernière fois, et cette dernière est en liesse.

Fossiles dans la pierre

Conan prend finalement d’assaut la scène. Les Katacombes sont presque remplies à pleine capacité, prouvant que les adeptes du sludge sont loyaux, même en un lundi soir pluvieux. Le son est d’entrée de jeu vraiment dark, jouant beaucoup dans les basses fréquences, et la guitare est downtunée (drop A, pour les connaisseurs). Ici encore, la basse a beaucoup de distorsion.

La voix est un peu irritante, criarde et répétitive. Le chanteur semble souvent crier la même note tout le long… De plus, le fait qu’il hurle le nom de chaque chanson avant de la jouer rajoute un peu au côté énervant. On aurait apprécié davantage de back vocals du bassiste, qui semblait avoir un bon growl. Ce dernier, souple et adepte de fentes, avait d’ailleurs une bonne présence de scène.

Des torrents de riffs crasseux et groovy se répandent, au même rythme que les substances éphémères et illusoires. Plusieurs spectateurs semblent se dire «Au diable la gueule de bois de mardi!»… La foule crée donc des trashs sans coordination et certains s’essaient même à faire du bodysurfing. 

À travers Conan, on devient racine, serpentant à travers les tréfonds de l’inertie froide. On devient aussi fossile dans la pierre, dans le sous-terrain de l’existence stagnante. Magnétisé par la répétition, par tant de pesanteur, on rêve d’un interstice de vide pour respirer, mais on sait qu’il y en aura jamais. Les chansons de Conan se ressemblent vraiment beaucoup…

Dans cette grotte où Conan nous tient prisonniers, il explique sa vision du monde en pictogrammes préhistoriques assourdissants. Bref, de l’art pariétal assommant, qui nous fait fondre sur le plancher.

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