ColoniséEs

Colonisées au Théâtre d’Aujourd’hui | Trop politique pour être théâtral

« L’espace d’un instant, et le temps d’une parole, ce vibrant cours d’histoire qu’est ColoniséEs fait obstacle à cette terrible solitude qui est notre lot à tous », écrit dans le programme René Richard Cyr qui a accepté, chose étonnante, de signer la mise en scène du dernier brûlot d’Annick Lefebvre en nous souhaitant « Bon voyage ». Mais, les cours d’histoire donnent difficilement du bon théâtre.

Ayant été remarquée rapidement par le réquisitoire choc de sa pièce J’accuse en 2017, l’auteure Annick Lefebvre se justifie ainsi : « Or, si toujours j’ai le sentiment de prendre la plume comme on prend les armes, sachez que l’équipe de création de ce spectacle m’a rendue plus forte. Invincible, peut-être. » La phrase est tirée de son mot de l’autrice, comme elle tient à se désigner elle-même. Un drôle de mot, autrice, pas très beau, et aussi peu littéraire que le serait la désignation d’une mettrice en scène au théâtre. Mais, passons.

Pendant une heure et 45 minutes, les sept comédiens, parmi lesquels deux fortes pointures, Macha Limonchik et Benoit McGinnis, livrent en les fragmentant les vies croisées du couple mythique que formaient Pauline Julien et Gérald Godin, en saupoudrant leur histoire personnelle à celle de l’histoire du Québec des 50 dernières années.

Le résultat se traduit par une avalanche de dates, de noms et de faits historiques qui n’arrive jamais à atteindre une dimension théâtrale. En fait, c’est comme si les comédiens, occupés à dire et à énumérer cette surabondance étourdissante de dates, n’avaient rien à jouer. Le trop long monologue d’ouverture en fait foi, allant dans tous les sens, comme dans une production de niveau scolaire qui s’emploierait à en remettre là où c’était déjà trop.

Tout y passe, de Pierre-Elliot Trudeau au défilé de la Saint-Jean en 1968, narguant la foule et ses appels à l’autodétermination, en passant par le RIN de Pierre Bourgault, ressuscitant au passage des oubliés comme Reggie Chartrand, ou bien Pierre Vallières avec ses Nègres blancs d’Amérique, en rafale avec Dédé Fortin aussi bien que les Carrés rouges du Printemps érable.

Bien sûr, la crise d’Octobre 70 et les hauts faits du FLQ des frères Rose occupent une bonne part de cette rétrospective trop détaillée. Mais la gravité de l’arrestation de Pauline Julien et de Gérald Godin en vertu de la Loi sur les mesures de guerre du trio au pouvoir, Bourassa, Drapeau et Trudeau père, n’est qu’évoquée avec peu de force. Comme si nous étions dans une galerie d’art où nous ne ferions que passer devant les œuvres exposées.

 

* Photo par Valérie Remise.

 

Décor raté

La scénographie sans imagination de Jean Bard, avec sa forêt de micros sur pied à différentes hauteurs qui ne serviront à rien, avec ses banales chaises de taverne, et son bloc écran au milieu de la scène qui de temps en temps reproduit du texte, est affligeante. Mais, en se mettant à la place de ce scénographe de talent, on se demande bien ce qu’il aurait pu faire de mieux avec tout ce matériau didactique et bavard n’ayant rien de théâtral.

Photo par Valérie Remise.

Le grand comédien qu’est Benoit McGinnis paraît peu s’investir, manquant totalement de présence sur cette scène sous-utilisée. Seule la grande comédienne qu’est Macha Limonchik arrive à intérioriser ce texte polémique et à y mettre du sentiment. C’est tout à son honneur, même si le reste de la distribution, plutôt faible, s’en trouve ombragé.

Il aurait mieux valu pour Annick Lefebvre de cibler certains épisodes de notre histoire, dont la fibre patriotique aurait vibré avec une dimension plus sentie, ajoutant à ce melting-pot historico-intimiste de tout acabit une couche d’émotion derrière son élan d’indignation et de dénonciation sociale.

Son plaidoyer, en y ajoutant des crocs, aurait pu se traduire par des tableaux plus engagés que cette résultante de baby-boomers du Plateau en manteaux Kanuk, et atteindre un niveau dramaturgique qui ici fait complètement défaut, malgré sans doute les bonnes intentions de départ de l’auteure, pardon, de l’autrice.


ColoniséEs

texte : Annick Lefebvre
mise en scène : René Richard Cyr
interprétation : Maude Demers-Rivard, Myriam Fournier, Charles-Aubey Houde, Macha Limonchik, Benoit McGinnis, Sébastien Rajotte, Zoé Tremblay-Bianco
assistance à la mise en scène et régie : Marie-Hélène Dufort
scénographie : Jean Bard
costumes : Cynthia St-Gelais
éclairages : Erwann Bernard
musique originale : Guido Del Fabbro
accessoires : Robin Brazill
maquillages : Angelo Barsetti

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