crédit photo: Katya Konioukhova
Ciseaux

Ciseaux à Espace Libre | Découper les clichés lesbophobes pour les jeter à la poubelle

Avez-vous déjà assisté à une pièce de théâtre dont le thème central est la communauté lesbienne? Nous non plus. Jusqu’à mercredi soir, en fait, lendemain de la première de Ciseaux, œuvre festive et troublante présentée à l’Espace Libre et qui met avec aisance dans le même panier humour, témoignages, histoire et drag (et bien plus).

« Chaque personne dans l’équipe nous a dit qu’elle a appris quelque chose », assure à Sors-tu? Mélodie Noël-Rousseau en entrevue quelques jours avant la première. Cette dernière a écrit, mis en scène et joué Ciseaux avec sa conjointe Geneviève Labelle (que vous connaissez peut-être comme les drag kings Rock Bière et RV Métal).

Aucune difficulté à considérer la portée éducative de la pièce, qui navigue avec fluidité entre le comique et le documentaire, et retrace avec moult détails les luttes lesbiennes à Montréal depuis les années 1950. Dix-huit personnes issues de la communauté, dont Manon Massé, Calamine et Safia Nolin, font de leur témoignage un cadeau à Ciseaux en inscrivant leur histoire et leurs épreuves dans une lutte plus grande qu’elles.

Comment la démarche de l’oeuvre théâtrale s’est-elle entamée? Grâce à la question suivante, qui a servi de fondation au spectacle : pourquoi n’existe-t-il pas aujourd’hui de bar lesbien dans une ville diversifiée comme Montréal?

Des bribes d’histoire méconnues et difficiles

« À partir de là, on est entrées dans une recherche documentaire immense », indique Geneviève. Il est en effet troublant de voir défiler à l’écran les évènements pas toujours roses qui ont façonné l’histoire lesbienne à Montréal. Descentes policières dans les bars (dont celle au Sex Garage en 1990, aussi appelée « Stonewall québécois »), voyeurisme, questions légales : on réalise bien vite que ces acquis historiques, pourtant essentiels, manquent cruellement dans l’espace public. Que l’on soit sensibilisé·es aux causes LGBTQ+ ou non.

Photo par Katya Konioukhova.

Certains passages, particulièrement ceux qui montrent de la répression violente de manifestations, sont difficiles à visionner. « On en a braillé une shot pendant le processus », admet Mélodie. Mais, comme l’a soulevé une spectatrice en discussion post-spectacle avec l’équipe, « c’est bien dosé ». C’est-à-dire que les segments plus lourds, ceux qui choquent et qui font réaliser que ces horreurs se déroulaient il y a quelques années à peine, sont balancés par d’autres franchement hilarants.

Il faut aussi en rire…

Ne l’oublions pas, Geneviève et Mélodie sont aussi artistes drag. Et actrices. Elles savent comment faire rire un auditoire, quel qu’il soit. « Depuis la drag, on ne peut plus se passer des réactions, de rire ensemble, de célébrer », énumère Mélodie. C’est que leurs personnages de drag kings sont si flamboyants et bruyants qu’ils font à tout coup réagir. Mercredi, le public était bien réchauffé, même si c’est souvent les deux créatrices qui s’adressaient à lui, et non leurs alter egos masculins.

Photo par Katya Konioukhova.

Détruire les clichés lesbophobes en se les réappropriant est probablement le but ultime de Ciseaux. Les deux reines de la soirée se moquent et répondent entre autres à Bernard Derome, Jean Drapeau et Éric Duhaime. L’imitation de ce dernier est sans conteste un moment fort de la pièce. Le chef du Parti conservateur du Québec, joué par Geneviève Labelle, est alors un bébé dont le discours homophobe doit être calmé à coup de sucette. Discours qu’il a notamment exprimé dans les pages de son livre La fin de l’homosexualité et le dernier gay, où il minimise la culture du viol et s’en prend à un « lobby gay ». Il va sans dire que les réactions dans la salle étaient houleuses.

Faire beaucoup avec peu

La variété des sketches prend place dans un décor plutôt restreint. Les actrices disposent de deux structures en escalier qu’elles déplacent et escaladent et qui servent tantôt de podium, tantôt de surface de projection. Cela n’empêche pas les minutes de filer pour construire un spectacle dynamique et presque sans longueur. Probablement aussi grâce à une carte interactive très réussie, projetée à plusieurs reprises dans la représentation d’un peu plus d’une heure trente et qui situe géographiquement les lieux où l’action racontée se déroule.

Photo par Katya Konioukhova.

Mélodie Noël-Rousseau et Geneviève Labelle avaient connu un certain succès avec Rock Bière : Le documentaire, pièce de théâtre elle aussi présentée à Espace Libre qui explore la quasi-absence des drag kings dans le monde de la drag. Avec cette nouvelle œuvre, leur féminisme scintille encore plus. Pourquoi l’histoire lesbienne est-elle si peu discutée et pourquoi la lesbophobie teinte encore notre société, subtile ou pas? Ciseaux n’offre pas de réponse claire, mais sème des graines et expose une réalité fantôme qui colle pourtant à la peau de plusieurs. Tout cela dans une enveloppe somme toute légère. Chapeau!

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