crédit photo: Ludovic Gauthier
Véronic DiCaire

Chicago au Capitole I Broadway en français, avec un accent d’ici

Adapter une comédie musicale culte de Broadway à la québécoise? Pari gagné pour les productions Juste pour rire qui installe un Chicago électrisant pendant 3 semaines au Capitole. Sur scène, des artistes d’ici (ou d’adoption) portent un texte et des chansons en français — savamment saupoudrés de joual — pour suivre cette intrigue policière sans la dénaturer.

C’est pourtant tout un défi de s’attaquer à la deuxième œuvre la plus jouée de l’histoire de Broadway depuis près de 30 ans!

Glorifier le crime par des femmes séduisantes?

Avant d’être le succès de Broadway, Chicago était une pièce écrite en 1926 par la journaliste judiciaire Maurine Dallas Watkins. Inspirée de crimes réels, l’Américaine dénonçait la façon dont les médias transformaient de jeunes femmes séduisantes accusées de meurtre… en vedettes.

Fait cocasse, Bob Fosse a approché Maurine Dallas Watkins à plusieurs reprises dans les années 1960 pour acheter les droits de sa pièce, mais elle a toujours refusé. Ce n’est qu’après son décès en 1969 que son exécuteur testamentaire lui a vendu les droits, permettant ainsi la création de la revue en 1975. Ironie du sort lors de la renaissance du spectacle en 1996 : les criminelles sont devenues des icônes mondiales.

Une histoire centenaire intemporelle

Années 1920 à Chicago : Roxie Hart (Véronic DiCaire) tue son amant. Elle se retrouve emprisonnée aux côtés de son idole Velma Kelly (Terra MacLeod), chanteuse de cabaret, elle aussi accusée de meurtre. Face à l’arrogance de celle-ci, l’admiration retombe aussitôt.

Sous l’aile de l’avocat Billy Flynn (Michaël Girard), les deux rivales se livrent à une lutte sans merci pour éviter la pendaison.

Les ingrédients pour y arriver? Manipulations de leurs proches et des journalistes (même combat!), mensonges, corruption… et aucune limite à l’imagination! Tout est permis à Chicago pour sauver sa peau.

veronic dicaire roxie hart montreal web credit marie andrée lemire* Véronic DiCaire interprète une Roxie a priori naïve, mais le personnage a plus d’un tour dans son sac. Crédit : Marie-Andrée Lemire.

La Montréalaise Terra MacLeod connaît Velma Kelly sur le bout des doigts : elle l’a incarnée pendant vingt ans, en français et en anglais, aux États-Unis et en Europe.

Et ça se sent dès son entrée fracassante sur « C’est ça le jazz ». Grâce à son assurance et son expérience désarmante appuyée par quinze danseurs et un orchestre de 14 musiciens, elle brille.

On ne voit qu’elle, la vedette du cabaret. La sensualité de ce tableau donne le ton de la liberté sexuelle sans jamais tomber dans la vulgarité.

ouverture all that jazz capitole quebec troupe 20250812 chicago ludovicgauthier 106 hrTerra MacLeod ouvre le spectacle avec le cultissime « C’est ça le jazz » (All That Jazz dans sa version anglaise). Crédit : Ludovic Gauthier.

Entre brune et blonde, le cœur balance tout le long du spectacle.

Dans le rôle de la (prétendue) naïve Roxie Hart, Véronic DiCaire excelle en danse, comédie et chant. Elle avait d’ailleurs déjà interprété le personnage à la Place des Arts, aux côtés de son amie (et ancienne colocataire!) Terra, au début des années 2000. Mention spéciale au tableau « On s’est jetés sur le gun », où son talent d’imitatrice la fait incarner une marionnette plus vraie que nature!

En parlant de manipulateur… Michaël Girard campe un Billy Flynn charismatique et sans scrupule au poker de la corruption. Son numéro de présentation « Moi, qui ne pense qu’à l’amour » en est l’illustration pure : toutes les femmes ne jurent que par lui pour être défendues. La mise en scène à plumes (l’une des seules du spectacle si le spectateur cherche l’un des emblèmes des années 1920) fait sourire à coup sûr grâce à la synchronisation millimétrée des danseuses groupies.

reached for the gun capitole quebec troupe 20250812 chicago ludovicgauthier 168 hrL’avocat Billy Flynn (Michaël Girard) tire toutes les ficelles de la conférence de presse de Roxie Hart (Véronic DiCaire), tant celles de la protagoniste… que des journalistes. Crédit : Ludovic Gauthier.

Il n’y a pas de Billy Flynn sans Mama Morton, la gardienne bienveillante de prison qui échange faveurs et privilèges aux incarcérées contre argent ou services (comme les appels à l’avocat). Pour une première expérience en comédie musicale, Mélissa Bédard offre une performance convaincante et puissante en chant. Le rôle lui va comme un gant!

melissa bedard chicago montreal web credit marie andrée lemireLa force tranquille de Mama Morton dans la voix de Mélissa Bédard : s’imposer sans forcer. Crédit : Marie-Andrée Lemire.

Enfin, celui qu’il ne faudrait surtout pas oublier : Amos Hart, interprété ce soir-là à Québec par Bryan Audet. Mari dévoué de Roxie, il encaisse tous les coups bas sans broncher, mais n’existe pour elle que par intérêt. Dans « Monsieur Cellophane », l’hymne des trop gentils invisibles, Bryan Audet est un clown triste touchant.

amos hart capitole quebec troupe 20250812 chicago ludovicgauthier 203 hrPendant tout le spectacle, Amos Hart tente d’exister. Crédit : Ludovic Gauthier.

Chacun de ces personnages (et plusieurs autres) ont leur moment de gloire grâce à des numéros de vaudeville bien ficelés. Une chanson est une présentation qui permet de bien cerner le protagoniste et ses traits de personnalités. De plus, le répertoire musical a été traduit en français québécois, ponctué de joual. Ainsi, Roxie Hart de Chicago lâchera un retentissant « Crisssssse », Amos se blâmera « maudit que j’suis épais! ». Moments comiques assurés pour rapprocher le spectateur québécois de son quotidien.

L’esprit de troupe

Que serait Chicago sans ses quinze danseurs, tous plus talentueux et souples que les autres? Grands écarts, sauts, acrobaties et portées… Il faut être en grande forme pour soutenir ce cabaret de 2 h 10. Ils quittent rarement la scène, campant les chaises le long des coulisses comme s’ils assistaient eux-mêmes au spectacle.

Plusieurs endossent aussi des rôles secondaires, changeant costumes et accessoires à une vitesse fulgurante.

Moment fort : le tango carcéral, où six prisonnières (dont Velma Kelly) racontent leur crime. Versatilité sans faille.

tango carceral tableau capitole quebec 20250812 chicago ludovicgauthier 122 hrLe tango carcéral, l’un des moments les plus sensuels du cabaret sans tabous. Crédit : Ludovic Gauthier.

C’est aussi un marathon pour l’orchestre de 14 musiciens qui enchaîne, presque sans relâche, une vingtaine de pièces jazz accessibles. Des airs devenus cultes, ponctués de jeux de lumière précis.

orchestre capitole quebec 20250812 chicago ludovicgauthier 199 hrL’orchestre de 14 musiciens de Chicago dans un écrin. Crédit : Ludovic Gauthier.

« Au coeur des années 20 », mais sans les costumes

Difficile de résister à l’ambiance cabaret, surtout au Capitole de Québec qui offre déjà un décor parfait.

Si le film de 2002 avec Catherine Zeta-Jones, Richard Gere et Renee Zellweger était un hommage aux années 1920, ici, on est ailleurs. La troupe québécoise joue la version culte de Broadway — et non son adaptation cinématographique.

Les robes à frange pailletées, perles, chapeaux cloches, smokings rayés, plumes et boas des années 20 laissent place aux tons noirs, la dentelle, la transparence, escarpins et porte-jarretelles. Choix assumé : celui de la scénographie Broadway version 1996, religieusement respectée par l’adaptation québécoise.

Quoiqu’il en soit, l’œuvre ne prend pas une ride. Derrière ce divertissement efficace, difficile de croire que la pièce de théâtre aura cent ans en 2026… et que quête de gloire, corruption et manipulation médiatique restent aussi actuelles.

Chicago, la comédie musicale est présentée jusqu’au 31 août au Capitole de Québec, puis dès le 10 septembre au Théâtre du Casino du Lac-Leamy à Gatineau.

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