crédit photo: Nona Limmen
Chelsea Wolfe

Chelsea Wolfe au National | Lourd réconfort

Une foule compacte et entièrement drapée de noir a accueilli la Californienne Chelsea Wolfe, vendredi soir au National. Présenté dans le cadre de sa tournée nord-américaine Hiss Spun Tour 2017, ce spectacle faisait la promotion de son dernier album du même nom, paru il y a presque un mois. Retour sur cette soirée de nouvelle lune, qui a causé de nombreux tremblements de terre et des émois psychiques…


Public médusé devant le duo Youth Code

En première partie, le duo Youth Code (Los Angeles) sert à l’essaim nocturne une froide vengeance, constituée d’EBM et d’industriel minimaliste. Les corbeaux attablés devant l’offrande sont toutefois médusés…

Malgré leur prestation très énergique, un certain vide règne — ça manque de guitare, et surtout de substance. Le son est d’ailleurs excessivement fort, même avec des bouchons! La chanteuse Sara Taylor (qui a des airs de Tiffany Valentine, la femme de Chucky) a un bon scream, malgré qu’il soit toujours sur le même ton. L’effet qui distorsionne sa voix aurait pu être utilisé avec plus de parcimonie. Malgré tout, elle est une excellente frontwoman, invectivant le public de ses « tabarnak! », établissant un bon contact avec celui-ci.

Youth Code pourrait être plus théâtral, on aimerait bien que la paire ait des costumes plus élaborés et des accessoires de scène, un peu comme Skinny Puppy. Ces derniers transparaissent fortement dans leurs influences (le son des années 90, surtout). Ils ont d’ailleurs tourné avec eux en 2014 et 2015! Leur son fait aussi penser à du Atari Teenage Riot, mais avec des des passages plus lents. Le duo réussit enfin à faire opiner du chef la foule lorsque ça devient plus pesant. Le « chef d’orchestre » Ryan George, derrière ses synthétiseurs, fait des beats pas mal répétitifs, qui deviennent même énervants et stressants, lors des parties plus rapides. L’équivalent d’être « pogné » dans le trafic de Times Square, après avoir bu au moins 30 cafés… Somme toute, un bon 45 minutes de rage et de noise.

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La panthère qui réconforte les âmes saignantes

Si Chelsea Wolfe semble a priori une louve solitaire hurlant à la lune, elle se révèle aussi comme une panthère, une prédatrice aux griffes acérées. Féline, ses gestes sont précis, méticuleux, bien calculés, amples comme son costume sombre.

Elle est accompagnée d’un batteur, d’un guitariste et d’un bassiste; une meute agile et dynamique. Elle dépose sa musique lourde sur les esprits, comme une couverture de ciment, enveloppée de très épaisses couches de velours. On apprécie l’écrasement de ses lamentations éthérées dans notre cerveau. Et cette tragédie plus qu’esthétique est accompagné d’éclairages bien en phase avec les différents moods. Le public a particulièrement apprécié sa chanson Carrion Flowers, entre autres.

La voix de cette fauve imdomptable est terriblement impeccable et bien maîtrisée. Elle fait voltiger son chant clean bien plus haut que le cliché des femmes-à-corsets-qui-chantent-l’opéra-dans-le-metal… Ses complaintes restent élégamment enrobées de satin noir, sans toutefois se complaire dans le stéréotype de la princesse éplorée.

Chelsea Wolfe manie sa guitare avec la grâce d’une vielle âme, ayant l’intuition de ce qui fait vibrer profondément les âmes en mal de réconfort. Elle jongle avec ses sabots vertigineux sur ses pédales d’effets. Et la foule est une rivière fluide, à laquelle cet animal sauvage s’abreuve. À la troisième pièce, la chanteuse de Youth Code vient rejoindre le groupe, et leurs voix se complètent merveilleusement bien — rocailleux et pureté formant un tableau exquis. Puis, elle extirpe une magnifique mélancolie de sa guitare, seule sur scène, lors du rappel.

 

Mainstream de l’underground, ou l’underground du mainstream?

Ce qu’on retient de ce spectacle, c’est que Chelsea Wolfe est universelle. Elle plaît à toutes sortes de crowds, vêtues d’une kyrielle de teintes et variations sur le thème de la noirceur. Qu’on soit métalleux (appréciant le lourd et le violent), amateur de noise et de drone (expérimental, ambiances circulaires) ou qu’on préfère la pop un peu hipster (électro, voix clean, minimalisme), chacun peut y trouver des pièces pour assembler son casse-tête cafardeux. Sa voix somptueuse, de même que certaines ambiances, rapellent un lointain Radiohead, plus agressif, plus sombre… Serait-elle la sensation des bas-fonds du métal, ou bien la progéniture adulée de la marge un peu plus extrême de la pop?

Bref, Chelsea Wolfe, l’imdomptable panthère, est exceptionnellement touche-à-tout, et touche toutes les âmes. Maîtresse de la musique du soir, elle berce les esprits esseulés, et dorlote son public comme une mère avec sa portée. Ses comptines ténébreuses et hypnotisantes accompagnera celui-ci dans un état d’engourdissement, propice aux lointaines rêveries…

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