
Chaque jour se tenir entre les trous | Rencontre avec Sylvie Cotton : Respirer à l’ère de l’étouffement
Artiste interdisciplinaire, historienne, travailleuse culturelle, écrivaine : la carrière de Sylvie Cotton est aussi foisonnante que sa conférence-performance, Chaque jour se tenir entre les trous, qui sera présentée à l’Agora de la danse du 23 au 26 avril. Mais ce projet d’art action est loin de se résumer à une démonstration de maîtrise visuelle. C’est pour sa créatrice, une manière de (re)découvrir la force et la puissance de la respiration ; en premier lieu, comme vecteur d’enseignement sur soi et les autres, mais aussi comme espace de transformation sociétale.
Je ne me souviens pas exactement comment ça a commencé, mais je pense que c’est parce que j’étais moi-même essoufflée.
Et pour cause : le point final apporté à la thèse en recherche-création de Sylvie Cotton sur l’art action et la présence, coïncide avec l’émergence d’une certaine pandémie. Dès lors, retrouver son énergie, son élan – dirions-nous… son souffle ? – est long. Même si l’élément déclencheur reste flou, c’est bien cette période qui place la respiration au centre de la réflexion de l’artiste.
L’étape de création débute alors et durera 2,5 ans. Des années pendant lesquelles elle accumule recherches, lectures et entrevues. Elle rencontre ainsi une vingtaine de personnes d’horizons divers, pour qui la respiration est déjà un objet d’intérêt. Flûtiste, professeure de chant, de yoga, de philosophie, thanatopractrice, sexologue : toutes ont une vision unique et spécifique de la respiration, qui permet d’aborder à la fois des considérations anatomiques, physiologies et biologiques. Ce qui ressort de ces discussions et de ces « inspirations » communes ? « Lorsque la respiration est consciente, quand on étudie sa propre respiration, on crée un champ de présence, une écoute différente, on ralentit. Il y a une analogie intéressante à faire entre la respiration et le dialogue ; les deux se structurent de la même manière. La respiration consciente nous permet vraiment d’être disponibles à soi et aux autres », constate Sylvie.
Trouver une forme pour toutes ces données est l’un de ses défis. C’est par des récits qu’elle choisit de les exposer, à travers une installation d’objets et de photos, à vocation déambulatoire et ponctuée de mouvements et de sons qui rappellent la machinerie respiratoire. Avec la scénographe Maude Arès, elle œuvre aussi à éclater l’espace pour mettre à l’épreuve le public.
Sylvie Cotton sollicite également son équipe sur scène. En effet, Maude Arès, Magali Babin, Emma-Kate Guimond, Kathy Kennedy, Corine Lemieux, Claudine Robillard, impliquées à différentes échelles créatives dans le projet, se muent en « respireuses ». Elles portent un souffle qui ne doit jamais s’éteindre. L’analogie à la mort est une évidence. Mais derrière cette considération purement biologique, se cache une prise de position plus actuelle et douloureuse.
Renouveler l’air des luttes, du dialogue, de ses relations
Grâce au travail collaboratif opéré avec la dramaturge Claudine Robillard, la respiration entremêle souvenirs personnels, données de recherches et dimension politique. Car prendre la parole en tant que femme artiste aujourd’hui, c’est faire écho à un historique d’invisibilité et de blessures, qui resurgit douloureusement de nos jours. C’est ainsi qu’il faut interpréter le visuel du spectacle, montrant un micro orienté vers l’entrejambe d’une femme. « À partir du moment où le genre féminin s’exprime par la voix du féminisme, il peut retrouver de l’air pour respirer et de l’espace pour se transformer. Or, de nos jours, cet air semble redevenir irrespirable pour lui. », explique la chercheuse créatrice. Que les femmes puissent de nouveau respirer aisément, c’est l’un de ses souhaits.
Le féminisme est certes, l’un des fils rouges de cette conférence-performance, mais n’est pas le seul. Que ce soit par le prisme de la société, de l’éducation, des croyances, l’ancienne travailleuse culturelle constate que l’on se pense souvent hermétiques. Pourtant, au travers de situations ou de rencontres avec des personnes, des êtres vivants, des paysages, des objets, les trous auxquels fait référence le titre, de nos pores aux alvéoles de nos poumons, peuvent être traversés d’énergie et de sentiments qui ont la capacité de nous transformer.
J’aimerais que le public sente à quel point son corps, sa respiration, son souffle sont fondamentaux. Cette recherche m’a montré qu’en respirant, on peut apprendre tant de choses sur soi, sur sa relation au monde, on peut se dépasser. Donc, s’il pouvait se sentir enrichi de la compréhension de la valeur de la respiration, je serais contente »
Finalement, cet échange avec Sylvie Cotton nous amène à considérer la respiration en tant que synonyme d’ouverture. À soi, aux autres, à la communauté, dans tout ce qu’il y a de plus beau et parfois de plus injuste. À la manière de ce moment de suspension qui se tient entre l’inspiration et l’expiration, Chaque jour se tenir entre les trous, pourra exister – le temps d’un spectacle – comme un moment retenu entre introspection et réflexion.
Chaque jour se tenir entre les trous sera présenté à l’Agora de la danse du 23 au 26 avril 2025. Détails et billets par ici.
* Cet article a été produit en collaboration avec l’Agora de la danse.
- Artiste(s)
- Chaque jour se tenir entre les trous, Sylvie Cotton
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Agora de la danse
- Catégorie(s)
- Danse,
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