Catarina et la beauté de tuer des fascistes au FTA | Exploration d’un dilemme moral face à la montée du populisme
Avant même le début du spectacle, la scène du théâtre Duceppe, habitée de comédiens dans l’attente, nous interpelle. L’homme formellement vêtu, au bout d’une longue table, est-il un invité d’honneur? Un membre influent de cette famille? Pourquoi semble-t-il isolé des autres personnages, qui, hommes comme femmes, arborent de longues jupes sombres?
Cette séparation est au cœur de Catarina et la beauté de tuer des fascistes, œuvre de l’auteur et metteur en scène portugais Tiago Rodrigues présentée au Festival TransAmériques.
En réalité, l’homme en bout de table n’est en rien lié au groupe. Idéologiquement, tout les oppose. Il écrit les discours d’un parti d’extrême droite récemment parvenu au pouvoir. La famille qui lui fait face tue les gens comme lui. Un par an, pour être exact, dans un rituel immuable instauré par son aïeule. Ce geste violent vise à rendre hommage à une ouvrière agricole assassinée sous la dictature de Salazar, sept décennies plus tôt. C’est en souvenir d’elle que tous portent une jupe, ainsi que son prénom, Catarina.
Chaque année, comme l’a demandé l’arrière-grand-mère (qui a commencé la tradition en tuant son propre mari), on sélectionne soigneusement un « fasciste ». On le kidnappe. On l’exécute. On l’enterre sous un chêne-liège autour de la maison familiale, en pleine campagne. Le terme « fasciste » a été ici choisi à dessein pour recouvrir tout ce que le monde compte de populistes, attisant la haine des minorités, fermant les yeux sur les féminicides et prônant le retour à des valeurs conservatrices.
Nous sommes en 2028, et c’est le tour de…Catarina, donc, jeune femme ayant atteint l’âge de presser sur la gâchette, d’éliminer son premier fasciste. Depuis l’enfance, elle baigne dans cette croyance familiale : si cela est nécessaire, ne jamais hésiter à faire le mal pour le bien. Elle a exécuté le kidnapping à la lettre. Elle est prête.
La machine s’enraye quand sonne le téléphone portable du prisonnier, qu’elle avait supposément jeté à la mer des heures plus tôt. Le doute s’installe. A-t-elle commis une erreur ou un acte manqué? Une inquiétude confirmée quelques instants plus tard : le bras tendu vers sa cible, Catarina se déclare incapable de tirer. Et soulève une question qui agitera le reste de la pièce : tuer, n’est-ce pas trahir le mot « justice »?
Un dialogue impossible?
Tiago Rodrigues, qui a pris en 2022 la tête du Festival d’Avignon, dit avoir voulu explorer le « paradoxe de l’intolérance » : doit-on être tolérant envers les intolérants? Faut-il continuer de jouer selon les règles quand la démocratie est en danger? Un questionnement d’actualité alors que les partis populistes gagnent en voix et en influence, notamment en Europe.
Dans une production surtitrée de 2h30, suivre un débat où chacun campe sur sa position menaçait d’être long. Étonnamment, il n’en est rien. Le metteur en scène nous amène au cœur du sujet par de multiples détours, où l’humour n’est jamais loin, porté par des comédiens en grande forme.
Cette famille improbable a les mêmes travers que toutes les autres, des disputes aux non-dits. Un oncle cite Brecht à tout bout de champ. On s’exaspère du régime végane de la plus jeune. Le clan est une machine complexe qui happe et épuise ses membres, comme le rappelle l’envoutante chorégraphie qui précède l’assassinat (avorté).
C’est dans l’affrontement entre Catarina et sa mère que s’illustre le mieux le débat. Une mère blessée, qui voit sa fille remettre en question tout ce qu’elle a essayé de lui inculquer, questionner ses intentions et souligner ses contradictions : si ce combat est si important, pourquoi tuer un seul fasciste par an? La jeune femme voudrait donner la parole au prisonnier, ce que sa mère rejette avec véhémence.
Pourtant, c’est lui qui aura le dernier mot. Libéré par un retournement de situation que l’on ne dévoilera pas, le représentant du fascisme entame un monologue de plus en plus véhément, sous le regard des sept membres de la famille. Sa logorrhée, interminable et dérangeante, suscite dans le public (à Montréal, mais aussi, apparemment, partout où la pièce est jouée) d’intenses réactions. On crie, on sort, on invective, un moment rare au théâtre.
Était-ce le but recherché? Une pièce qui aborde de front les menaces qui pèsent sur nos démocraties offre une prise de hauteur bienvenue dans un milieu parfois trop autocentré. Mais il reste comme un goût d’inachevé.
Lors de leur dispute, Catarina suggère à sa mère de parler avec les électeurs des fascistes, de chercher d’autres moyens d’arriver aux mêmes fins. Cette porte ne sera jamais ouverte, le discours final de la pièce provoquant sans surprise un rejet brutal, qui laisse peu d’espoir à la résolution des conflits qui semblent nous diviser si profondément.
- Artiste(s)
- Catarina et la beauté de tuer des fascistes
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Théâtre Jean-Duceppe
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