Avant-garde par Denis Marleau à l’Espace GO | Dominique Quesnel brille

Le titre Avant-garde, dans le contexte de cette pièce coup de poing de l’Allemande Marieluise Fleisser, ne veut rien dire et ne rend pas justice à son auteure. Mais, c’est bien là le seul reproche que l’on pourrait faire à cette production délectable mise en scène par un maître, Denis Marleau, et livrée avec force vérité par la comédienne Dominique Quesnel dans la petite salle d’Espace Go.

Avec pour tout décor deux cubes en tulle reliés par une passerelle, conçu habilement par Stéphanie Jasmin, la pièce commence par une chanson en anglais à la guitare interprétée par Jérôme Minière qui a de nombreuses fois travaillé au théâtre avec Denis Marleau.

Apparaît ensuite une femme vêtue d’un tailleur en tweed de couleur neutre, sans chaussures, mais en bas de nylon sous sa jupe à plis conçue par Angelo Barsetti. La femme entame alors la narration d’un long monologue à la troisième personne où l’on comprend vite qu’il s’agit de sa propre histoire. Celle d’une jeune auteure d’un coin perdu de la Bavière, Cilly Ostermeier, qui débarque à Berlin pour ainsi se retrouver rapidement sous le joug d’un certain Bertolt Brecht, poète et figure montante du théâtre contemporain en Allemagne, et qui deviendra pendant six ans son amant au pouvoir destructeur.

Mais jamais le nom de Brecht ne sera mentionné. La comédienne Dominique Quesnel, lumineuse dans l’adaptation de la pièce qu’en a faite Denis Marleau à partir de l’excellente traduction de Henri Plard, parle de Cilly en l’appelant elle et de Brecht en l’appelant lui.

Nous sommes devant une femme brisée par les revers de sa vie d’écrivaine, vocation rare pour une femme à l’époque, surtout en Allemagne. Il y en a qui sont nés pour dominer, dira-t-elle de son mentor, lui opposant plus loin cette petite phrase voulant que personne ne possède personne.

Mais le mal était fait. Elle parle de Brecht comme d’un dompteur d’acteurs jusqu’à l’abrutissement, un exploiteur du talent des autres qui serait allé jusqu’à dire que les acteurs ne sont rien de plus que des singes.

Avant-garde 2 par Caroline Laberge

Tour de force de Dominique Quesnel

La pièce a été écrite en 1962, soit une trentaine d’années après son premier texte pour le théâtre, Purgatoire à Ingolstadt, que Brecht avait mis en scène au Deutsches Theater de Berlin, pour ensuite présenter en 1929 sa deuxième pièce, Pionniers à Ingolstadt, dont la facture outrageusement moderniste fera scandale et aura raison d’elle.

Auteure dorénavant interdite par le régime nazi, accusée d’immoralité et de non-respect envers l’armée, elle quittera Brecht et la capitale pour aller se réfugier dans son hameau natal où, parce qu’elle avait besoin de la protection d’un homme, elle épousera le contraire d’elle-même : un commerçant au plus loin de toute forme de littérature. Elle ne reprendra le flambeau qu’après des épisodes de graves dépressions et la mort de son mari en 1958.

Sur un ton juste et touchant, sans qu’on s’en lasse une seule seconde, Dominique Quesnel est criante de vérité dans ce solo troublant qui la pousse jusqu’au bord des larmes. La comédienne, dont la carrière fut longue à démarrer, mais qui à 53 ans aura joué sur quatre scènes cette saison, a visiblement été bien dirigée par Denis Marleau dans ses moindres gestes et mimiques, créant avec ce personnage pour le moins paradoxal une osmose belle à voir.

En alternance, Jérôme Minière revient à l’avant-scène, pour chanter, même en allemand, les airs les plus connus du tandem Bertolt Brecht – Kurt Weill. Ses interprétations viennent nous atteindre comme autant de bouffées d’air frais tout en demeurant dans le réalisme de la pièce.

Avant-garde par Caroline Laberge

On dit de Brecht que ses nombreuses liaisons amoureuses lui ont soufflé du texte à l’oreille, que même sa pièce fétiche L’Opéra de quat’sous, a été écrite en majeure partie par sa concubine Elisabeth Hauptmann, et que sa domination affective et artistique était totale.

Ainsi, avec sa pièce Avant-garde, Marieluise Fleisser, décédée en 1974, vient déboulonner le mythe brechtien par le biais d’une autocritique du milieu du théâtre qui porte à réflexion, tout en offrant un réel petit bijou de pièce dans une période faste du théâtre montréalais.

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