Après au Théâtre d’Aujourd’hui | Retour au théâtre réussi de Serge Boucher

Au début, on ne sait rien. Il n’y a que ce décor en angle d’une chambre d’hôpital désertée apparaissant entre deux fondues au noir, sans que rien ne se passe. Puis, après trois autres noirs, peut-être quatre, se faufile la silhouette d’un homme en jaquette bleue qui se glisse dans le lit dont la partie supérieure est remontée. Autre fondue au noir : un procédé d’ailleurs que le metteur en scène René Richard Cyr et son concepteur des éclairages, Erwann Bernard, utiliseront tout au long de la pièce Après de Serge Boucher, présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 19 mars 2016.

On ne sait pas ce que cet homme, interprété avec un bel aplomb par Étienne Pilon, fait là, de quoi il souffre, ni depuis combien de temps il est là? Apparaît alors sous des dehors brusques une infirmière qui fait son travail au plus coupant. Maude Guérin est méconnaissable. La pièce se jouera donc entre eux deux. Mais peut-être devrait-on dire entre eux trois, tellement les bruits de fond, les grondements assourdissants, et les noirs apeurant entre les scènes, composent un troisième personnage invisible.

Par courtes bribes, l’histoire commence, syncopée comme sait si bien le faire l’auteur Serge Boucher chez qui règne une économie du langage, où jamais un mot de trop n’est prononcé. On comprend vite que nous sommes devant un casse-tête de plus de mille morceaux, et qu’il faudra faire l’effort nécessaire avant de réussir à placer le dernier morceau. Un autre noir suit, mais celui-là traversé par les plus effroyables cris de détresse d’un homme jamais entendus.

Le patient s’adresse à son infirmière qui ne lui répond pas le plus souvent. Il lui dit qu’il peut comprendre son dégoût à elle envers lui, après ce qu’il a fait… Elle reste fermée, impénétrablement muette. Il lui parle de son travail, de l’alternance avec ses jours de congé, tentant d’apprendre des choses sur celle qu’il aura tôt fait de tutoyer et d’appeler par son prénom, Adèle. Il faudra attendre un certain temps pour comprendre que cette chambre (magnifique décor de Jean Bard) est dans un hôpital psychiatrique pour détenus en attente de procès.

« Les enquêteurs sont là! », lancera Adèle, sur un ton de défiance. On ne les verra pas. Mais on finira par apprendre qu’il y a eu meurtre, infanticide de surcroît, suivi d’une tentative de suicide. Le pire danger était de ne pas évoquer le cas Guy Turcotte, et que le spectateur arrive vierge. La pièce est moins sur le crime commis que sur ce qui vient « après » justement, dans ce cas-ci l’empathie qu’une proche soignante peut développer envers l’homme derrière le monstre. Adèle, qui vit seule avec sa perruche Kiki et dont le propriétaire vient enfin de changer le prélart de sa cuisine, ne sortira pas indemne de cette chambre d’hôpital.

« Je pense que j’aurais écrit cette pièce même si le cas Guy Turcotte n’avait pas existé. J’ai voulu m’en détacher, l’intérêt d’Après étant de dire que ce tueur pourrait être vous ou moi », a déclaré l’auteur à La Presse. La pièce, apprend-t-on, aurait plutôt trouvé sa source dans le roman L’adversaire, du Français Emmanuel Carrère, qui raconte l’histoire vraie d’un homme ayant tué sa femme, ses deux enfants et ses parents, et qui rencontre en prison l’institutrice de son fils avec qui se développera une relation équivoque.

Depuis ses débuts, avec Natures mortes au Quat’Sous en 1993 et Motel Hélène à l’Espace Go en 1997, on sentait que Serge Boucher était là pour rester, qu’il avait le souffle et la personnalité créatrice pour continuer, qu’il allait construire brique par brique le référent incontournable qu’il est devenu dans notre dramaturgie. Sa troisième pièce, 24 poses (portraits), créée au Théâtre d’Aujourd’hui en 1999, a été reprise chez Duceppe par la suite, ce qui est déjà une consécration. Même qu’une version pour la télévision a vu le jour en 2002, réalisée par René Richard Cyr. Suivront tour à tour les pièces Avec Norm, Les bonbons qui sauvent la vie, Là et Excuse-moi, qui chacune connaîtra un succès d’estime par le public et la critique.

Serge Boucher aurait pu se faire broyer et avaler tout rond par l’énorme machine dévoreuse de talents que représente l’écriture d’une série pour la télévision. Au contraire, il en est sorti victorieux, et autant pour Aveux en 2009 que pour Apparences dès l’année suivante, il a reçu coup sur coup le Gémeau du meilleur texte pour une série dramatique. On sent d’ailleurs l’influence de la télé dans cette nouvelle pièce qui marque un retour au théâtre après six ans, et qui aura été sa pièce la plus difficile à écrire, selon l’auteur. C’était en même temps que l’écriture d’une nouvelle série télé, Feux, qui sera tournée au printemps et à l’été pour diffusion ultérieure à ICI Radio-Canada Télé.

Avec Après, une fois encore, le tandem Serge Boucher et René Richard Cyr, en même temps que le tandem Maude Guérin et René Richard Cyr, affichent une belle réussite. Par contre, il est difficile de comprendre le choix de la photo de l’affiche, totalement vide de charge émotive, alors que la pièce en contient tant.

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