Animal triste au Wilder | La chorégraphe Mélanie Demers ouvre le bal

Alors que la peinture n’est pas encore tout à fait sèche et que les parois des ascenseurs sont toujours recouvertes de contre-plaqué, l’Édifice Wilder vient de faire résonner ses premiers applaudissements avec une chorégraphie de Mélanie Demers, Animal triste, produite par sa compagnie, Mayday, à l’invitation de l’Agora de la danse.


Ça se passe dans la plus grande salle du Wilder, qui en compte quatre, soit l’Espace Françoise Sullivan pouvant accueillir 156 spectateurs dans ses fauteuils rouges. Et étonnamment, l’âme et les fantômes de l’Agora de la danse paraissent avoir survécu au déménagement de la rue Cherrier et s’être imprégnés déjà dans ce palais de la danse tout neuf qui fait envie à bien des pays sur la planète. Plus que jamais, Montréal est une ville de danse.

Au début d’Animal triste, nous sommes devant une scène jonchée d’un spaghetti de gros fils électriques jaune vif, et ceinturée de spots lumineux. Les quatre danseurs, Marc Boivin (président de la Fondation Jean-Pierre Perreault), Francis Ducharme, Chi Long (la seule fille) et Riley Sims (formé à The School of Toronto Dance Theatre), assis en retrait sur les côtés, nus dans la pénombre, se vêtissent progressivement. Puis, l’on ne sait pas ce qui nous attend, alors que la musique de plus en plus envahissante devient même angoissante.

« Dans la grande marche du monde, l’Homme n’est rien d’autre qu’un petit animal triste qui se console dans la beauté et baigne dans son désir d’immortalité », écrit Mélanie Demers dans le programme. Reconnue pour son engagement social, elle ajoute mettre en scène « un quatuor aux prises avec cette guerre intime qui se joue en filigrane, dans les revers et les détours du vivre ensemble ».

Née d’un père haïtien et d’une mère québécoise, la chorégraphe réussit très bien à ne pas faire montre de ses influences. Son style est singulier, non apparenté à quiconque, même si elle a dansé une bonne dizaine d’années avec la compagnie de Ginette Laurin, O Vertigo. Son vocabulaire chorégraphique, avec sa physicalité et son rythme, s’articule aussi bien entre un coït et un accouchement qu’en une démarche hiératique non narrative de ses danseurs ayant très peu de contacts entre eux, comme dans un clan dysfonctionnel pris pour vivre ensemble.

Sur cette scène de configuration carrée, éclairée sur ses quatre côtés, se démarque dès le départ la forte présence de Francis Ducharme, autant dans les mouvements minimalistes que dans la fureur du tracé chorégraphique dessiné par Mélanie Demers et les danseurs eux-mêmes.

Francis Ducharme. Photo par Mathieu Doyon.

Francis Ducharme. Photo par Mathieu Doyon.

Cheveux très longs et barbe épaisse, vêtu tout en contraste d’une sorte de jupe en tissu léger blanc, sans oublier les colliers de perles partagés avec les trois autres danseurs, Francis Ducharme qui est aussi un excellent comédien, porte bien son nom. Il nous fait tout de suite tomber sous son charme, avec le curieux mélange d’animalité et de dandysme qui le caractérise.

Les musiques et ondes sonores conçues par Antoine Berthiaume et Jacques Poulin-Denis, tout comme la conception des lumières d’Alexandre Pilon-Guay, ajoutent à l’œuvre une dimension spectrale qui fait se parler les corps, entre statisme et emportement, entre amour et autodestruction. Le tout s’intègre parfaitement, et l’on souhaiterait que ce spectacle de tout juste une heure se prolonge.

Depuis sa fondation en 2007, la compagnie Mayday de Mélanie Demers compte une vingtaine de créations qui ont circulé en Amérique, en Europe, en Afrique et en Asie. On comprend pourquoi.

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