alt-J et Portugal. The Man à la Place Bell | Unis aux antipodes
En ce Vendredi saint, alt-J était de retour dans le Grand Montréal pour la première fois depuis son passage au Festival de Jazz de Montréal en 2019. Le groupe a investi la Place Bell à Laval avec sa plus récente tournée The Dream. En première partie, les groupes Cherry Blazer (qu’on a manqué) et Portugal. The Man se succédaient.
Après l’énorme succès inattendu de Feel It Still, tube incontesté de Portugal. The Man (PTM), issu de l’album Woodstock paru en 2017 (plus d’un milliard d’écoutes sur Spotify!), il y a lieu de se demander pourquoi le programme de soirée n’était pas inversé ou du moins, présenté comme un plateau double. Surtout qu’un concert du groupe basé à Portland, Oregon, disons que ça en met plein la vue, c’est coloré, c’est dansant et revendicateur. Bref, tout en contraste avec ce à quoi alt-J nous a habitué. Mais la soirée de vendredi nous a éclairée à plusieurs égards… Récit entrelacé des deux performances.
La certitude c’est que la soirée laisse toute la place à la musique et aux prouesses visuelles. Dans les deux cas, les membres des groupes sont plutôt effacés, en arrière-plan, que ce soit derrière un écran LED ou de fumée. Une approche qui sied bien à l’esprit de Portugal. The Man, dont le nom lui-même vise à mettre la lumière sur un ensemble de personnes plutôt que sur une seule; ainsi qu’à alt-J, fiers représentants de la population introvertie.
Dans le cas de PTM, ça se traduit en offrant un feu roulant de musique, les mélodies s’enchaînant les unes après les autres, sans pause, s’entremêlant, d’un album à l’autre, en faisant des clins d’oeil notamment à Nirvana, Pixies, Kiss, Metallica, Slayer, Pink Floyd et bien sûr, les Beatles. Un peu déjà vu dans leur cas, on l’admet. Mais toujours aussi efficace. Le tout sous un nuage coloré de fumée, accompagné de quelques appels à l’action bien placés sur grand écran.
Les deux nouvelles chansons issues de l’album à venir à juin, soit What Me Worry? et Grim Generation nous font trépigner d’impatience. Une chose est sûre: on ne va pas voir PTM en salle pour entendre leurs albums, note pour note, accords pour accords, arrangements pour arrangements. C’est toujours un peu une nouvelle expérience à chaque fois. Et c’est pour ça qu’on les aime.
Le triomphe de l’introspection
À l’opposé, on retrouve le trio anglais alt-J, dont les pièces sont bien souvent rodées au quart de tour et présentées bien sommairement. Mais pas cette fois. L’excellence, la justesse et la précision sont évidemment toujours au rendez-vous. Mais pour le reste, on s’élève de plusieurs crans.
La tombée du rideau annonçant alt-J révèle une immense boîte vitrée, contenant une plateforme surélevée, permettant d’accueillir les trois musiciens, des claviers, un pied de micro et une batterie. Minimaliste, mais pas tant. La boîte en question, appuyée par l’immense écran géant en fond de scène, sera en fait « mappée » toute la soirée par des projections englobantes qui emmènent la performance ailleurs. Et l’exploit, c’est que malgré la barrière physique créée par le concept, on arrive tout de même à plonger complètement dans ce que le trio a à nous offrir. C’en est presque hypnotisant.
La musique d’alt-J étant introspective, l’idée d’emboîter les trois musiciens dans une sorte d’aquarium géant est non seulement une belle manière d’encapsuler – littéralement – leur univers, mais aussi une ingénieuse allégorie illustrant les deux années pandémiques meublées de plexiglas qui viennent de passer.
On compte parmi les meilleurs flashs visuels l’effet sous-marin de Something Good, l’écume des plages de Dissolve Me et la ballade sur la lune de U&ME. Malgré l’effet wow de la scénographie, on appréciait les moments où la « cage » allait se ranger au plafond pour permettre au public de connecter à 100% avec le groupe lors des plus gros succès comme Matilda, Fitzpleasure et Left Hand Free.
Unis avec l’Ukraine
Les deux groupes n’ont pas manqué d’afficher leur support envers le peuple ukrainien, l’un appelant à un cessez-le-feu international, en saluant au passage les peuples yéménites, afghans et éthiopiens et en dénonçant la guerre. L’autre en affichant l’immense drapeau bleu et jaune et en lançant un « f*ck Poutine » bien senti.
Verdict
Au final, ce qui ressort de la soirée, c’est que non, Portugal. The Man ne devrait pas prendre la tête d’affiche d’une tournée d’aréna. Même si on les a souvent vus dans ce contexte (on se souvient de leur tournée avec Cage the Elephant), c’est dans une petite salle intime qu’on les apprécie et que leur art est réellement mis en valeur. PTM, ça reste artisanal. C’est l’intention. Et ça doit le demeurer. C’est un groupe de six geeks de musique de toutes les époques, qui aime explorer les textures, les sons, les accords de chansons de tous les styles et livrer le scrapbook audiovisuel de leurs trouvailles. Feel It Still agit comme une agréable erreur de parcours surprenante, comme le laisse sous-entendre l’ironique panneau « We will not sell out again we promise » qui introduit la chanson sur scène.
Ce qui en ressort aussi c’est qu’un groupe aussi discret sur scène qu’alt-j mérite sa place au haut de l’affiche, et a tout avantage à en mettre plein la vue avec une facture visuelle scénique aussi époustouflante que celle de cette tournée. C’est un sans faute esthétique, enveloppant, captivant. Une valeur ajoutée absolue qui justifie l’interprétation live parfois trop près des albums. C’est comme ça qu’on fait triompher l’introversion.
- Artiste(s)
- alt-J, Portugal. The Man
- Ville(s)
- Laval
- Salle(s)
- Place Bell
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