Afrodisiaque

Afrodisiaque au Centre Segal | Performer pour dénoncer

« Mady, tes cheveux te parlent ! » Mady, c’est cette petite fille, ou plutôt ces petites filles noires, brunes ou métissées qui, entre tristesse, honte et dépression, voient leur enfance bouleversée par leurs cheveux…. Ou plutôt par le regard des autres sur leurs cheveux. Une réalité, une douleur et un traumatisme qui échappe à la communauté blanche. Par ignorance, par maladresse ou par méchanceté, les cheveux de ces femmes sont l’emblème de la bêtise humaine, mais aussi la figure de proue d’une culture, d’une force et d’un échange possible entre connaissance et résilience.

Dans Afrodisiaque, présenté jusqu’à dimanche 16h au Centre Segal, Maryline Chery, autrice et comédienne, porte cette réflexion pendant plus d’une heure, au cours de laquelle, le public passe par des montagnes russes d’émotions.

Il faut dire que Maryline aime la scène qui le lui rend bien. Tour à tour, drôle, touchante, caricaturale, dramatique, elle personnifie les cheveux de Mady, sous le nom de Rhizome. Grâce à elle donc, nous faisons la rencontre de cette petite Mady, 13 ans et déjà si complexée par sa tignasse « crépue, qui sent bizarre, qu’il serait si intéressant de toucher ».

Seule personne issue de la diversité dans sa classe, dans son école, dans son quartier, elle ne perçoit pas cette différence comme une richesse, mais comme un fardeau. Le but de Rhizome est alors clair : montrer à Mady qu’à travers ses cheveux, elle porte une grande part de son identité, de ses racines et de son Histoire. Et lui faire comprendre que le problème n’est pas elle, mais les autres.

La performance de Maryline alias Rhizome entreprend alors de démonter un à un les clichés liés aux cheveux bien sûr, mais aussi aux communautés noires en général. Son cheminement se fait de manière fluide et recherchée. On sent que le texte vient de son cœur, de ses tripes et probablement de son passé. Qu’elle enfile une tenue scintillante pour livrer un match de boxe contre un élastique récalcitrant, qu’elle se mette dans la peau d’un enseignant quelque peu raciste et peu sensible à la cause, ou encore qu’elle personnifie une coiffeuse si passionnée par les femmes noires qui ont su afficher avec fierté leurs vrais cheveux, ses mots sonnent justes et nous rentrent dedans. C’est certain et c’est tant mieux.

Et on se surprend à réfléchir en tant que personne blanche : avait-on vu cela sous cet angle ? Avons-nous conscience de la portée de nos gestes, de nos mots ? Nous sommes forcément interpelé.es par ces mises en situation. Entre remise en question et révolte, on se dit qu’on peut sûrement mieux faire, que l’on doit mieux faire.

Danse, slam, parodie : rien ne résiste à l’énergie de la comédienne. Le mélange des styles et des médias ajoute à son propos une valeur concrète, un je-ne-sais-quoi de déjà-vu, de déjà-su et de rarement-compris jusqu’à présent. Parfaitement maîtrisés par Alexis Garceau – alias Don Paco Master of Keys, concepteur sonore – les bruitages, musiques et chansons soutiennent le jeu sans tomber dans la superficialité. On constate cependant que certains passages sont perdus sous un volume trop fort. On comprend que c’est nécessaire pour se mettre dans l’ambiance, mais on regrette que cela se fasse parfois au détriment du texte.

* Photo par Jeremy Cabrera.

Toutes les séquences de la narration sont construites avec logique et intelligence, si bien que l’on franchit un niveau à chaque fin de tableau. On est surpris, on est consterné, on est empathique, on apprend aussi beaucoup. À ce titre, trois moments sont particulièrement marquants. Celui dans lequel Rhizome explique à Mady quels mots sont offensants et comment réagir si elle se sent attaquée ou insultée, touche dans le mile. C’est l’occasion pour le public de se rendre compte qu’à travers l’emploi de tournures qui nous paraissent anodines, la blessure guette.

Nous découvrons le test du peigne avec la portion sur l’église. Si les personnes noires ne sont pas capables de passer un peigne dans leurs cheveux avec facilité, c’est qu’elles ne s’entretiennent pas et donc qu’elles ne méritent pas d’entrer dans la maison de Dieu. On perçoit que l’Histoire a eu son lot d’injustices au sein même de la communauté noire.

Enfin, impossible de faire l’impasse sur le moment le plus poignant de l’existence de Mady, lorsque sa mère décide de répondre à une énième plainte, en lissant ses cheveux pour qu’ils soient beaux « comme ceux des filles de sa classe dont les prénoms finissent en _a ». Le produit utilisé est dangereux, nocif, agressif et ne résout en rien le mal-être de la petite, dont l’escalade finale illustre l’actualité à un point tel, que l’on se sent mal et acculé au pied du mur… comme Mady.

Malgré toutes ces prises de conscience et cette réalité crue, le spectacle se termine sur une touche d’espoir, de résilience et de croyance soutenue en l’espèce humaine, et en ses facultés d’ouverture d’esprit, car c’est bien par la connaissance que commence la reconnaissance.

Quant à Mady, elle finit par prendre sa vie et ses cheveux en main, et par afficher avec fierté son identité, ses racines et son Histoire.

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Crédit photo : Jeremy Cabrera

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