Critique | Pour réussir un poulet au théâtre la Licorne
Assis dans la salle du théâtre la Licorne, on se prépare à entrer dans l’univers de l’auteur Fabien Cloutier. Ce dernier nous a habitués à son franc-parler et à sa critique sociale incisive. Sa toute dernière pièce Pour réussir un poulet n’y échappe pas. Ici, il donne la parole à un duo d’antihéros paumé. Jusqu’où peut-on aller pour changer son sort? Le public, lui, ne s’en sortira pas tout à fait indemne.
Nos deux lurons se nomment Steven et Carl, ils en arrachent allant de petits boulots en petits boulots. Tous deux pères, ils tenteront, tant bien que mal, d’élever leurs enfants. Steven sort avec Mélissa, la sœur de Carl, la belle serveuse du restaurant du centre d’achat du coin. Il y a aussi la mère de Steven qui aime bien les petits vidéos de singe sur YouTube, mais qui ne se laisse pas berner pour autant par internet et ses pétitions bidon et qui nous livre des discours étonnamment lucides sur le sujet. Belle critique sociale de notre rapport à l’Internet.
Finalement, Vaillancourt, le propriétaire sans moral du centre d’achat, il n’hésite pas à magouiller, à arnaquer et casser quelques jambes au besoin. Il offre un petit boulot en dessous de la table à nos deux hommes, ramasser de la ferraille pour la revendre. Tout se passe assez bien jusqu’au jour ou ça dérape dans une combine douteuse de revente d’huitres.
C’est avec douceur que l’auteur nous amène avec lui dans son univers, sans rien brusquer. Au début, la réplique est légère et sympathique, on rit. On rit de plus en plus jaune, il faut dire. Aussi jaune que le mur du décor qui semble narguer les personnages tellement il est étincelant. Plus Carl et Steven s’enfoncent, moins on a envie de rigoler. Plus on est confronté à la dure réalité de la vie, sans filtre ni artifice. Les mots deviennent plus tranchants, on ne se cache plus derrière les blagues.
Ce dépouillement se retrouve aussi dans la sobriété du décor — seulement 5 chaises disposées sur la scène — laisse toute la place à la remarquable prestation des acteurs. On aime haïr le Vaillancourt de Denis Bernard. Hubert Proulx et Guillaume Cyr, Steven et Carl, sont touchants, même bouleversants par moment. Les deux femmes Marie Michaud et Gabrielle Côté savent se montrer à la fois fortes et fragiles. La mise en scène, elle, donne un ton un peu décalé à la pièce. Souvent, les personnages ne se font pas face lors de leurs dialogues. Espèce de conversations à sens unique où l’on ne semble pas toujours s’entendre. Comme quoi quand tout va mal, on se sent tout seul dans sa « merde ».
Enrober le tout d’une trame sonore du groupe électro-jazz Misteur Valaire qui donne un petit air de Tarantino à la pièce. Le mélange de la musique aux airs de film, du texte dur et franc qui nous ouvre les portes d’un monde qu’on n’a pas tenté d’enjoliver, bien au contraire, rend Pour réussir un poulet une œuvre assez captivante qui nous laisse à la sortie du théâtre sans voix.
- Artiste(s)
- POUR RÉUSSIR UN POULET
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- La Licorne
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