
Festival International de Jazz de Montréal 2025 – Jour 10 | Esperanza Spalding en toute audace
Pour cette dernière soirée de la 45e édition du Festival International de Jazz de Montréal sur la Place des Festivals, la scène s’ouvre sur un piano à queue. Esperanza Spalding y improvise des accords puissants, frappés avec ardeur, sculptant un espace sonore qui appelle à l’écoute. D’emblée, un dialogue s’installe, sans préambule. L’intention est claire, directe, presque brutale : dans son pays, ça chauffe. Une voix intérieure semble jaillir pour réclamer la liberté, exhorter à brûler tout ce qui est superflu. La rage contenue devient souffle créatif, et dans un élan d’imitation vibrante, sans jamais nommer « le nom », elle lance :
« I want the whole world, give it to me now! I don’t care how, I want it now. »
Sur cette scène immense, Spalding est entourée d’un guitariste, d’un batteur, de deux choristes-danseuses, et bien sûr de sa contrebasse. Le spectacle prend des allures de rituel chorégraphique : les choristes dansent presque sans relâche, incarnant l’énergie vive qui traverse chaque morceau. L’ensemble est mouvant, précis, oscillant entre éclats instrumentaux, suspensions aériennes et envolées vocales. L’audace règne. Sur la scène TD de la Place des Festivals, devant des milliers de spectateurs, c’est une improvisation contrebasse-voix et danse qui ose à tout instant.
Chaque pièce musicale s’ancre dans un ostinato — souvent à la guitare, doublé à la basse — sur lequel Spalding improvise avec une voix tour à tour légère, vaporeuse ou puissamment ancrée. Les formes déjouent les attentes : aucun standard en vue, mais une matière hybride entre jazz moderne, spoken word, textures et polyphonies organiques. Les mélodies explorent des trajectoires étranges, les structures restent ouvertes. Des tuttis voix-guitare-basse ponctuent l’ensemble, et certaines lignes chantées suivent les inflexions de la parole, jouées à l’unisson, comme une extension instrumentale du discours. Sa voix passe du belting intense aux murmures les plus doux, traversée de mélismes ciselés.
Les thématiques s’enracinent dans le corps. Une pièce salue la colonne vertébrale — « if it doesn’t hurt, you probably never think about your spine » — une autre remercie les anches, cette partie du corps qui nous soutient toute la journée. Une philosophie poétique se déploie : celle de l’ancrage, de la gratitude, de la conscience sensorielle.
Spalding danse aussi. Elle ose un solo improvisé devant des milliers de spectateurs, sans filet. Sa présence est entière, libre, sans artifice. Pantalon à carreaux, chemisier blanc entrouvert, chevelure indomptée : elle semble tour à tour funambule, feu follet et volcan. En arrière-plan, un ciel projeté aux teintes mouvantes accompagne discrètement l’évolution musicale.
Des mantras sont lancés au fil du concert : cesser de chercher de la guidance dans nos téléphones, garder vivante la clarté de nos désirs, irradier l’amour et être réceptif à celui des autres. Une chanson rend hommage au sens du toucher. Une autre, en toute fin, revient au feu — thème initial — en formulant l’espoir que cette chaleur, plutôt que destructrice, soit transformationnelle.
Le concert se conclut avec Black Gold, offerte comme un vœu : que cette chanson n’ait plus jamais besoin d’être chantée. Puis, dans un dernier souffle, Esperanza Spalding invite à cultiver la satisfaction, non dans l’aboutissement des grandes ambitions, mais dans la simplicité des triades majeures, dans les gestes quotidiens, dans le corps. Un message limpide. Un concert brûlant, spirituel, viscéralement audacieux.
Photos en vrac
- Artiste(s)
- Esperanza Spalding
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Place des Festivals
- Catégorie(s)
- Indie jazz, Jazz,
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