crédit photo: Pierre Langlois
Marc Ribot's Ceramic Dog

Festival international de Jazz de Montréal 2025 – Jour 1 | le bonheur d’entendre Marc Ribot en rockeur énervé

Subtilité n’est pas forcément le premier mot qui vient après la puissante performance du trio Ceramic Dog, mené par le légendaire guitariste Marc Ribot. Cependant, cet amateur de contraste sait ratisser large! Ça a particulièrement brassé sur scène (et un peu dans le public aussi!) hier soir, 27 juin 2025, au Gesù dans le cadre du Festival de Jazz.

La soirée a commencé tranquillement pour moi avec un aperçu du concert de la chanteuse Mavis Staple qui ronronne gentiment. Ensuite, c’est le le début de concert du saxophoniste David Binney, accompagné de Jean-Michel Pilc (au piano), Walter Sinson (contrebasse) et Tommy Crane (batterie) qui ont fait remonter une douce nostalgie du festival Montréal Anti-Jazz Police de 2024 à l’Ursa où Binney avait offert quelques moments marquants. Alors que la magie commence à prendre sur scène, l’heure du concert de Ribot s’en vient et et c’est à regret que j’ai quitté Binney et sa gang pour descendre au Gesù,

La salle est pleine et sur scène, Marc Ribot est à droite avec sa vieille Gibson SG et les deux pieds solidement plantés dans son pédalier, faisant face au batteur. Au centre, on retrouve Shahzad Ismaily, principalement à la basse, mais aussi au synthé Moog, aux chœurs et à la guitare. À gauche, regardant ses collègues, c’est Ches Smith, aussi grand par la taille que par la technique, assis devant son kit de batterie et aussi affecté aux chœurs raffinés. Il génère également quelques sons électroniques intéressants. Fait notable, histoire de pimenter son jeu, le batteur a installé une cymbale à 6 pieds de haut devant son kit, histoire de s’imposer quelques grands mouvements théâtraux pour l’activer violemment. Délicieux!

Le guitariste de 71 ans est connu pour ses multiples collaborations qui vont de Tom Waits, Elvis Costello, John Zorn, The Lounge Lizards et Caetano Veloso à Alain Bashung. Sa guitare rock éclatée côtoie aussi ses racines plus classiques venant de son maître Frantz Casseus, père de la guitare classique haïtienne. Il y a aussi ses influences cubaines qui ont donné lieu à ce petit chef-d’œuvre qu’est l’album The Prosthetic Cubans sorti en 1998.

Parmi ses multiples projets et collaborations, il y a donc ce trio qui navigue entre noise et rock bien garage, et la démonstration en est faite : avec des riffs en apparence simples qui semblent sortis de la guitare de Johnny Ramone ou des premiers albums de Black Sabbath, et une guitare accordée bien grave et grasse qui sonne proche du rock stoner de Josh Homme, il fait apparaître un long morceau bien expérimental de par des interventions bruitistes.

C’est alors qu’un homme descend vers la scène en hurlant des propos peu audibles, mais tournant autour de « Fuck you all! ». Au début, je me demande s’il fait parti du concert, étant plutôt en rythme avec le morceau, mais quand le groupe s’arrête après quelques minutes, gêné par ce bruit de fond agressif et répétitif, c’est un propos audible et fâché rouge qui est déclenché par la sobre inscription « Palestine » affichée sur le chandail du bassiste! Le gars particulièrement irrité est alors invité à prendre l’air pour réfléchir et la musique reprend, comme si de rien n’était..

Avant le prochain titre, Ribot y va d’un laconique :

There’s many reason to get upset… and we’re only one of them. (Il y a bien des raisons d’être fâché… et nous en sommes juste une.)

Le guitariste est connu pour être politisé et ne s’étend pas trop sur le sujet du dangereux dictateur en puissance chez nos voisins du sud, mais il prend le temps de remercier le Canada qui leur permet toujours de venir. Il a même réclamé que New-York soit annexé par le Canada! Ou juste le quartier de Brooklyn, puisque c’est là que les trois vivent.

Si l’énergique trio est tout en puissance, le côté raffiné de l’ensemble n’est jamais très loin, que ça soit par le jeu qui peut être bien technique et subtil du batteur Ches Smith ou de ses harmonies bien pop. Et entre deux hurlements de fuzz, la basse de Shahzad Ismaily sait sortir quelques lignes qui groovent sans agresser! Avec son jeu particulier, Ribot propose des mélodies souvent entêtantes jouées de façon détachées, comme s’il venait de découvrir la guitare, mais solidement ancré dans le temps.

La deuxième moitié du concert contient quelques titres du dernier album solo de Ribot, Map of a Blue City, sorti il y a un mois. On a donc droit à un magnifique Sometime Jailhouse Blues tiré d’un poème d’Allen Ginsberg. Pour le rappel, c’est une version éclatée du When the World’s on Fire de la famille Carter, puis Soldiers in the Army of love, tiré de l’album  du trio intitulé Connection (2023).

Avec un concert éclaté où le rock bruyant et puissant a la part belle, le trio Ceramic Dog en a surpris plus d’un par son côté rentre-dedans. Mais le côté improvisateur et jazz des musiciens n’est pas jamais très loin, avec des interventions bruitistes et bien placées, faisant place à une délicatesse bienvenue qui contraste et permet de relancer l’ensemble encore plus vigoureusement. C’était fort dans tous les sens positifs du terme!

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