Les gens, les lieux, les choses chez Duceppe | La solitude d’une toxicomane
Deux personnages se font face, avec la pluie pour fond sonore, dans une des dernières scènes de La Mouette, de Tchekhov. Comme dans un cauchemar, la comédienne qui joue Nina commence à oublier ses répliques, les mélange, ajoute des commentaires, et finit par se faire entraîner en coulisses manu militari, sous le regard effaré de son partenaire.
C’est sur ce moment malaisant, aux accents comiques, que s’ouvre Les gens, les lieux, les choses, pièce du dramaturge britannique Duncan Macmillan proposée jusqu’au 12 octobre au théâtre Jean-Duceppe.
Le fiasco de La Mouette est le dérapage de trop pour Emma, comédienne qui a depuis longtemps cessé de résister à l’appel de l’alcool et des drogues. Drogues de tous types, dont elle dresse la liste avec difficulté pour les employés du centre de désintoxication où elle finit par se rendre.
Là, dans un décors blanc immaculé aux airs d’hôpital psychiatrique, Emma doit s’engager dans une thérapie. La substance quitte rapidement le corps, mais seul un travail approfondi lui permettra de changer son comportement et de pouvoir faire face aux gens, aux lieux et aux choses qui ont précipité sa dépendance, lui apprend-on.
Sauf qu’Emma n’est pas prête à s’impliquer dans le programme, qui requiert de fouiller dans ce qui dérange et de participer à un groupe de parole. Emma ment, Emma se moque, Emma refuse de dire qu’elle a besoin d’aide, au risque de nuire au progrès des autres. D’ailleurs, elle s’appelle Sarah, déclare-t-elle au bout de plusieurs semaines.
« Vous ne me verrez pas dire que je suis dépendante ou alcoolique », leur dit-elle. « L’automédication, c’est la seule manière de survivre dans un monde brisé. »
Le refus d’entrer tout entière dans le processus de thérapie ne durera pas jusqu’au bout. À la suite d’une rechute, Emma finira par se donner une chance de retour à la vie normale, en commençant par s’excuser auprès de sa famille, moment fort de la pièce qui apporte d’importantes informations, tout en soulevant de nouvelles questions.
Une connexion qui peine à se créer
Mais de ce retour chez elle, on verra finalement peu. La pièce se concentre sur le parcours de la jeune femme, à la fois entre les murs du centre et dans sa tête. Par un efficace jeu de lumières et un recours judicieux à la danse, la mise en scène d’Olivier Arteau nous plonge au cœur de l’expérience d’une toxicomane, déchirée entre son instinct de survie et le refus de se faire face.
Les chorégraphies, qui réunissent une multitude « d’Emmas » pour restituer les vagues de la consommation et du manque, parviennent à nous rapprocher des sensations physiques du personnage et à créer un lien qui peine à exister lors des dialogues. Car il est tout de même difficile de s’attacher à cette protagoniste, pourtant incarnée avec intensité et justesse par Anne-Élisabeth Bossé.
On peut imaginer que l’auteur ait à dessein voulu nous tenir à distance de son personnage principal, en nous mettant dans la peau des proches qu’elle a repoussés à force de vols et de mensonges. Nous sommes aussi solidaires du groupe, qui ne supporte plus son humour caustique et sa défiance.
Le risque d’un tel pari, c’est de perdre le public, surtout dans une salle telle que Duceppe, qui offre un bel écrin aux danseurs mais accentue l’isolement d’Emma. L’entracte met fin à une première partie un peu répétitive, qui aligne les personnages secondaires et leurs témoignages sans faire avancer la pièce. La mise en scène est fluide, l’humour bien présent, les comédiens passent avec brio du jeu à la danse, mais après 1h30, il manque de l’émotion.
Celle-ci apparaitra plus tard, lors d’une scène finale qui comporte son propre coup de théâtre. L’occasion de découvrir les parents d’Emma, que ses comparses du centre ont incarné pour elle lors de pratiques de groupe (et impeccablement joués par les mêmes comédiens à ces deux occasions), et qui ont leur vérité à dire.
C’est dans un face-à-face final glaçant avec sa mère, que notre lien si ténu avec Emma se renforce. Bien qu’elle nous ait caché beaucoup de choses, on aurait presque envie, enfin, de croire en elle.
Les gens, les lieux, les choses est à l’affiche chez Duceppe jusqu’au 12 octobre 2024. Détails et billets par ici.
- Artiste(s)
- les choses, Les gens, les lieux
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Théâtre Jean-Duceppe
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