crédit photo: Marc-André Mongrain
DOMi & JD Beck

Festival de Jazz de Montréal 2023 | Jazz millénarial avec DOMi & JD Beck et Black Midi

Ces dernières années, le Festival International de Jazz de Montréal a vraiment su démontrer que le jazz n’est pas juste une affaire de têtes blanches, en faisant de la place pour les jeunes talents qui s’approprient les codes du jazz et réinventent les façons de l’apprêter. C’est encore plus vrai que jamais cette année. Mardi soir en était un exemple probant : on offrait la grande scène de la Place des Festivals aux jeunes prodiges DOMi & JD Beck, alors que le Club Soda était plein à craquer pour une performance endiablée de black midi.

Domi Louna et JD Beck sont des jeunes prodiges.

On raconte que Domi a commencé à apprendre la musique à l’âge de 3 ans. Une jeune Parisienne prodige qui s’est retrouvée au Conservatoire de Paris, puis au Berklee College of Music de Boston.

JD a commencé vers les cinq ans.  Iels se seraient rencontrés à un party d’anniversaire d’Eryka Badu. Ça donne le ton.

À peine rendus dans la jeune vingtaine, DOMi & JD Beck collaborent avec des artistes de la trempe de Thundercat, Anderson .Paak et Herbie Hancock. Iels ont d’ailleurs assuré la première partie du spectacle de ce dernier, à sa demande, lundi soir.

On serait tentés de s’imaginer que des jeunes prodiges du jazz soient de belles petites personnes sobrement vêtues, avec classe et finesse. Un look un peu conservateur, bon chic bon genre.

Or, DOMi et JD Beck sont plutôt maîtres dans l’art du style à l’ère des réseaux sociaux.

Y’a qu’à constater l’épellation de DOMi, avec trois majuscules et une minuscule. Il se fait pas plus milléniarial que ça.  À moins de jouer du piano assise sur un bol de toilette, nue bas, avec ses godasses à lumières qui traînent négligemment juste à côté. Oh, parlant de ça…

* Photo par Marc-André Mongrain.

 

Bref, les deux font la paire, et attirent l’attention ces derniers temps. L’an dernier, le FIJM nous les avait fait découvrir en les bookant au Club Soda. Quelques mois plus tard, le duo revenait jouer à Montréal, au Belmont. Cette fois-ci, c’est la grande scène de la Place des Festivals devant des dizaines de milliers de spectateurs.

Disons que ça dépoussière une certaine conception de ce que peut être le jazz.

Musicalement, ça tient la route : JD est hyperactif aux baguettes, bat la cadence à un train d’enfer avec une technique olympienne. Son style est très nerveux, drum & bass, un peu free jazz par moments.

* photo par Marc-André Mongrain.

Au clavier, DOMi active les notes basses de sa main gauche, et enchaîne les solos époustouflants avec la main droite.

Assis face à face devant un décor tout simple (deux magnolias et un drapé en fond de scène), iels donnent tout un spectacle. Leur montage scènique occupe à peu près un quart de la grosse scène, comme s’ils s’étaient cadrés eux-mêmes. Simple et efficace.

*Photo par Marc-André Mongrain.

Après trois titres instrumentaux fort enthousiasmants et bien accueillis par un public friand de ce genre de prouesses, DOMi adresse la parole à la foule… en anglais. Et se fait aussitôt demander d’adopter la langue de Gainsbourg et Charlebois, ce qu’elle fera avec tact. C’est une Parisienne après tout. On le sait qu’elle parle français.

On nous explique que « it all goes downhill from here » parce que le prochain titre sera chanté. Ce sera la très bonne BOWLiNG, jouée avec Thundercat en temps normal. Il n’est pas encore en ville, alors ce sera eux qui chanteront.

Tout ça est très sympathique et témoigne du fulgurant point de départ d’un duo appelé à faire un tabac partout dans le monde, même avec une musique essentiellement jazz.

Mais il nous fallait tout de même quitter au tiers du show. Parce que les Britanniques de black midi s’apprêtaient à commencer au Club Soda.

 

black midi

Ils n’ont pas encore la mi-vingtaine eux non plus, et leur nom s’écrit entièrement en minuscules. On fait des liens où l’on peut.

Parce que du reste, le « jazz » de black midi n’a pas grand chose à voir avec celui de DOMi & JD Beck, si ce n’est de l’effet wow de leur technique irréprochable, amplement étalée dans leur interprétation.

* Photo par Frédérique Ménard-Aubin.

black midi est un groupe absolument fascinant à découvrir. Leur musique est un melting pot de bien des courants : punk, math rock, post-punk, free jazz, funk, métal même. Et souvent, tout ça rabouté dans une même pièce. Les plus vieux y décelleront du Mr. Bungle ou encore Primus. « On dirait les Talking Heads mais métal », me chuchottait un collègue après une de leurs chansons musclées.

Ce collage dadaïste à prédominance rock expérimental est assez étourdissant et prend quelques écoutes pour être digéré. Mais une fois qu’on trouve ses points de repère, on n’en décolle plus.

Visiblement, on est nombreux à Montréal à ne plus en décoller.

De retour dans la Métropole quinze mois après un concert remarquable à la SAT, black midi bénéficiait cette fois de la foule qu’il mérite, c’est-à-dire des gens pas masqués, 100% à l’aise de se laisser aller en public.

Dommage qu’on avait, cette fois-ci, un saxophoniste en moins par contre. Ça n’a pas pour autant nui à la performance.

Les chanteurs, guitaristes et membres fondateurs Geordie Greep et Cameron Picton sont tout simplement hallucinants à voir jouer. Surtout Geordie, qui déclame souvent des paroles à vive allure sur un riff de guitare quasi-impossible, à contre-temps de son débit de parole. Cet homme a une coordination main-bouche exceptionnelle!

Le batteur (et aussi membre fondateur) Morgan Simpson est également tout un phénomène et absolument fascinant à voir jouer. On remarque un peu moins son travail sur album, mais sa technique et son punch sont remarquables en live.

* Photo par Frédérique Ménard-Aubin.

black midi s’inscrit en quelque sorte dans le vaste courant du post-punk britannique/européen qui est une véritable pépinière ces dernières années. Leur place est tout près de leurs bons amis de Black Country, New Road, mais ils demeurent les plus weird et détraquées de la gang. On les aime de même.

D’ailleurs, parlant de les aimer, le Rolling Stone publiait récemment un article au sujet de la prétendue inconduite généralisée dans les concerts. « Concert behavior is worse than ever », affirme-t-on.

Peut-être aussi que les artistes récoltent le fruit de leur propre comportement envers leur public. Parce que si black midi concocte une musique exigeante qui respecte l’intelligence des auditeurs, et nous épargne les habituelles interactions infantilisantes et futiles entre les chansons, ça donne une foule entièrement investie, qui se fait totalement silencieuse durant les chansons et les moments calmes, et qui perd la boule durant les moments de folie!

Bravo, foule de black midi!  On le souligne quand le public fait chier avec son comportement irrespectueux et bruyant?  Il faut aussi le souligner lorsqu’une foule contribue à créer une excellente synergie avec le spectacle.

* Photo par Frédérique Ménard-Aubin.

 

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