Colossus de Stephanie Lake à la Place des Arts | Étude du corps collectif
C’était la première fois que le spectacle Colossus proposait une aussi nombreuse distribution : avec 64 danseurs simultanément sur la scène de la Salle Wilfrid-Pelletier, cette production n’aura jamais aussi bien porté son nom de colosse.
Il s’agissait de la onzième représentation de ce spectacle, dont la version originale a été montée et présentée à Melbourne par la chorégraphe australienne Stephanie Lake en 2018.
Et malgré cette dizaine sonnée, chaque itération se différencie des autres par un point central – les danseurs sur scène. En effet, Stephanie Lake met un point d’honneur à faire appel à des artistes de la relève issus de la scène locale, en l’occurrence, trente-deux jeunes danseurs de l’École de danse contemporaine Montréal et trente-deux de l’École supérieure de ballet du Québec – une chance phénoménale selon les jeunes artistes, appelés à s’exprimer à la fin du spectacle. Ceux-ci ont largement salué cette opportunité qui leur a été offerte de découvrir une diversité dans la pratique corporelle et chorégraphique, dans la manière d’habiter et d’occuper l’espace scénique entre classique et contemporain. Une occasion de jumeler des étudiants dont les chemins, habituellement, ne sont pas amenés à se croiser.
La force du groupe
La grande scène de la Salle Wilfrid-Pelletier s’ouvre, entièrement dénudée et délimitée des coulisses par une simple toile blanche. Les soixante danseurs sont allongés au centre des planches. Un membre du groupe se lève soudain, se place au centre de l’espace et commence à diriger le groupe au doigt et à l’œil. Peu à peu, d’autres individus prennent sa place, on se pousse, on se remplace, on se relève, on s’inclut et on s’exclut de la danse : c’est à la fois l’essence de l’individu et la force du groupe qui ressort.
Avec des gestes saccadés, quasi-robotiques, les danseurs se synchronisent à la demi-seconde près. Impressionnant, quand on sait que les interprètes ont disposé de deux semaines seulement pour la répétition de ce spectacle dont la performance repose sur l’homogénéité du groupe, qui avance comme un seul organisme. Chaque geste en entraîne un autre, chaque mouvement opère une répercussion sur les congénères ; un effet domino agencé comme un mécanisme d’horloge.
Ces tractations rappellent une pâte à modeler que l’on étire, que l’on refaçonne, dont on enlève un morceau que l’on replace ensuite, avec ce petit quelque chose d’hypnotisant et de satisfaisant que peut revêtir un geste répétitif. On ressent tout au long de la représentation ce souffle unique, cette énergie qui s’est nécessairement établie dans le groupe de danseurs pour qu’ils parviennent à bouger d’un seul et même souffle, d’une seule et même chair. Les mouvements revêtent un aspect tour à tour floral et animal.
Seul bémol au spectacle, la relative lenteur du début. Quand finalement le groupe explose dans une danse scrupuleusement minutée, fascinante par la dextérité et la minutie de tous les interprètes, on s’aperçoit qu’on aurait volontiers admiré cette force du nombre dès le lever du rideau.
La place de l’individu dans le collectif
C’est toute la question soulevée par ce spectacle : qu’est-ce qui, dans un groupe, différencie l’individu de ses semblables ? Quand fait-on partie intégrante d’un groupe ? Dans quelle mesure peut-on se lier véritablement aux autres ? À qui appartient l’espace, et quelle place le corps y occupe-t-i, à la fois le corps individuel et le corps collectif ?
Les costumes viennent justement appuyer ce propos du spectacle. Chaque danseur, bien qu’habillé de noir, arbore un agencement de vêtements singulier. Jupes, pantalons, robes, tuniques, chandails transparents, manches longues, manches courtes, le costume est individuel mais unifié aux autres dans la couleur, pour souligner autant l’individualité que l’esprit de groupe. On se surprend à reconnaître certains danseurs par leur vêtement, puis à les perdre de vue, à en découvrir d’autres, à retrouver les précédents, comme on le ferait dans une foule qui prend peu à peu un visage familier.
Une expérience sociale
Intéressant à souligner, la chorégraphe tient à rappeler que ce spectacle ne prend pas la même signification selon le pays de tournée. L’expérience sociale symbolisée par le groupe sera vécue d’une certaine façon selon le contexte politique, économique et sociétal. Cette observation est d’ailleurs renforcée par la volonté de Stephanie Lake de faire toujours appel à des danseurs locaux : à l’intérieur du cadre préétabli du spectacle, chacun va laisser son empreinte, et Colossus apparaît donc comme une production monumentale vouée à voguer au gré de ses interprètes… et de ses spectateurs.
Il reste encore deux représentations du spectacle, ce vendredi 10 mars et samedi 11 mars à 20h. Détails et billets par ici.
Directrice artistique et chorégraphe Stephanie Lake
Compositeur Robin Fox
Concepteur des éclairages Bosco Shaw
Conceptrice des costumes Harriet Oxley
- Artiste(s)
- Stephanie Lake Company - Colossus
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Salle Wilfrid-Pelletier
- Catégorie(s)
- Danse,
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