Amok de Stefan Zweig à la Cinquième Salle | Chapeau à Alexis Moncorgé !
C’est vendredi soir, à la Cinquième Salle de la Place des Arts, dans le cadre de Montréal en lumière, que le jeune comédien français Alexis Moncorgé jouera la 300ième représentation d’Amok, une nouvelle adaptée par lui que l’auteur autrichien Stefan Zweig publia en 1922. Une pièce noire, un récit abyssal de mort, mais s’avérant un véritable porte-bonheur pour le comédien qui lui valut le Molière de la Révélation masculine en 2016.
Alexis Moncorgé est à Montréal pour la première fois, mais personne n’oubliera son passage dans la métropole, juste avant San Francisco, et surtout Kuala Lumpur en Malaisie, pays d’origine du mot arabe hamok qui signifie fou.
Sous-titrée Le journal d’un fou d’amour, l’adaptation que trimballe Alexis Moncorgé dans le monde, est une histoire difficile à raconter. Il faut en tout premier lieu connaître le sens du mot amok : une sorte de folie furieuse meurtrière, un acte de violence irrépressible consécutif à un choc émotionnel grave. On dit « courir l’amok », ce qui correspond à tuer le plus grand nombre de personnes possible, le plus souvent dans un état de transe que connaissent les opiomanes.
Dans ce cas-ci, passion se confond avec folie amoureuse, alors qu’un jeune médecin fuit la jungle de la Malaisie où il a exercé pendant cinq ans auprès des indigènes. Quand la pièce commence, une nuit de mars 1912, le médecin fiévreux est sur le pont du navire qui le ramènera en Europe, racontant par petites bribes confondantes sa passion amoureuse pour une femme blanche de la ville, venue le consulter en lui demandant avec une étrange arrogance de la délivrer d’une grossesse adultère avant que son mari ne revienne…
Le comédien, jouant le texte de Zweig de manière très physique, paraît taillé sur mesure pour ce rôle mis en scène habilement par Caroline Darnay. Il sait bouger bien, et les modulations de sa voix affirmée sonnent vrai, avec une expressivité dans le jeu qui le rend irrésistible. On le suit, sans savoir ce qui nous attend, et malgré la gravité du sujet, il nous transporte comme par envoûtement dans l’ivresse de son mal-être.
Il faut dire qu’il a des antécédents artistiques, étant le petit-fils de Jean Moncorgé qui deviendra nul autre que le grand acteur français Jean Gabin. Mais il n’a pas connu son célèbre grand-père, décédé dix ans avant sa naissance, et qui aurait été si fier de le voir jouer Konstantin Treplev dans La Mouette de Tchekhov, tout comme du Zola et du Maupassant.
Quant à Stefan Zweig, auteur à succès juif de La confusion des sentiments et de Le Joueur d’échecs, entre autres, ami de Sigmund Freud, de Richard Strauss et d’Arthur Schnitzler, il partira pour Londres dès 1933 devant la montée du nazisme, puis s’enfuira à corps perdu pour le Brésil où il se donnera la mort à seulement 60 ans, en 1942, nous laissant orphelins de l’œuvre encore à venir.
Alexis Moncorgé, lui, qui a connu les petits boulots dans les bars parisiens pour payer ses cours d’acteur et le loyer, achèvera le formidable périple d’Amok en juillet prochain au Festival d’Avignon. À moins que…
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