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Une fin de semaine au Montreux Jazz Festival (Suisse) | Phoenix, Chilly Gonzales et Lukas Graham enchantent

Cet été, Sors-tu.ca vous fait voyager. Il n’existe pas qu’un festival prénommé « Jazz », notre collabo Victor Perrin vous emmène à plus de 5 000 kilomètres de Montréal pour vous faire découvrir, le temps d’une fin de semaine, le fameux Montreux Jazz Festival qui se tient du 30 juin au 15 juillet 2017.

Le temps est maussade pour l’ouverture de la 51e édition du plus prestigieux des festivals suisses, voire du monde. Dommage quand on sait la beauté des lieux qui anime cette partie ouest du pays. Avec un peu de soleil et de chaleur, tout est bien différent. Mais là, c’est une fine bruine qui s’invite sur les quais animés par des stands de bouffe universels.

Si Montreux n’est pas la plus grande ville de Suisse, la cité iconique de la Riviera mue souvent durant l’année pour accueillir festivals et conventions. Le Jazz quant à lui ne déroge pas à la règle, occupant ainsi les rives du lac depuis plus de cinquante ans. Et c’est à chaque première quinzaine de juillet que se mêle des générations venues parfois de loin pour admirer des artistes de renom dans un cadre paysager sublime. Un monde certes souvent chic à la vue des prix à débourser pour assister aux concerts du Jazz (l’abonnement complet coûte 1420 francs suisses soit 1920 dollars canadiens) bien qu’il existe quelques scènes extérieures gratuites. Mais alors que dire de cette programmation si éclectique qu’offre le Montreux Jazz Festival !

AMBIANCE @Montreux Jazz Festival 2016 Copyright Emilien Itim

La vue du Montreux Jazz Festival. Crédit photo: Emilien Itim

Qualifiée de « dense, intense et surprenante » par son directeur général Mathieu Jaton, l’expérience sonore est sans pareille dans les trois principales salles dont le Lab ou le mythique Auditorium Stravinski, théâtre de mémorables concerts depuis 1993. Et si le jazz s’affirme moins qu’à l’origine malgré une salle complètement dédiée (Montreux Jazz Club), le maillage de genre font de cette cuvée 2017 un excellent cru. La soul, le funk, la pop ou encore le rock sont par exemple à l’affût pour proposer aux spectateurs une des plus audacieuses programmations de l’été en Europe.

Alors, pour ouvrir le bal, rien de tel que le compositeur Max Richter qui a visiblement surpris. Mais, qu’à cela ne tienne, la seconde soirée allait quant à elle tenir aussi ses promesses. Au programme: la lumineuse Maggie Rogers, l’énergique Lukas Graham ou encore les revenants de Phoenix venus présenter leur nouvel album Ti Amo. Tout ceci avant de conclure la fin de semaine par l’électro de Bonobo, mais surtout la doublette détonante Herbie Hancock et Chilly Gonzales qui se succéderont au Stravinski. Deux générations qui se mêlent en somme, à l’image de ce Montreux Jazz Festival qui cherche à créer des ponts entre les artistes.

Le Lab, théâtre d’une pop sucrée

Un premier liant se manifestera donc le samedi soir par le partage de la scène du Lab où Lukas Graham succèdera à Maggie Rogers afin de perpétuer une pop sucrée et efficace. C’est face à une foule clairsemée que la chanteuse américaine Maggie Rogers entre d’abord sur scène sur Color Song avec cette voix pure et limpide qui s’échappe de son gosier, tels les gazouillis des oiseaux qui ornent son ensemble vestimentaire.

Certains moments sont ensuite exquis tandis que d’autres se révèlent encore scabreux, laissant peu de place à l’improvisation. Et si le single Alaska, mis en lumière par Pharrell Williams, s’avère peut-être moins entraînant que d’autres titres, l’Américaine dégage toutefois un certain charme vocal qui l’amènera probablement loin.

Maggie Rogers live at the 51th Montreux Jazz Festival, (c) 2017 FFJM Marc Ducrest

Maggie Rogers au Montreux Jazz Festival. Crédit photo: Marc Ducrest

Puis, tout à l’inverse de Maggie Rogers, Lukas Graham entrera ensuite de manière fracassante sur la scène. Seules les trente premières minutes sont relatée, mais quelles premières minutes! Le chanteur Danois au titre planétaire 7 Years n’a pas lésiné sur les moyens pour enflammer une foule intergénérationnelle. L’artiste est en soi allumé d’une énergie transmissible où les cuivres apportent une touche subtile à ces sonorités funk-pop comme sur Take The World By Storm. Sa voix quelque peu nasillarde lui permet malgré tout de tutoyer les hautes notes comme sur Drunk In The Morning et ambiancer avec assurance ce Lab qui semble déjà trop petit pour lui. Bientôt le Stravinski ?

Un Auditorium Stravinski à deux visages 

Lukas Graham live at the 51th Montreux Jazz Festival, (c) 2017 FFJM Marc Ducrest

Lukas Graham au Montreux Jazz Festival. Crédit photo: Marc Ducrest

Au même moment où se démène Lukas Graham, un décompte sur les écrans du Stravinski s’affiche. Puis, l’obscurité devient totale avec comme seul artifice un néon rouge en forme de cœur s’illuminant sur la batterie de Phoenix. Dans cette salle plongée dans l’attente, tout commence subitement avec Ti Amo et cette série de flashs à rendre aveugle. Puis la surpuissance batterie prend l’ascenseur sur Lasso avant de laisser plus d’espace aux synthés et guitares sur Liztomania ou Role Model.

On est là, face à un groupe qui maîtrise si bien son sujet que les écarts sont inexistants. Pour le meilleur et pour le pire évidemment chez un public réceptif qui s’emballe parfois avant de s’évader sur l’épique instrumentale Love Like A Sunset. Impossible dès lors de se défaire de cette saturation massive de basse qui attrape littéralement les spectateurs à la gorge et font vibrer tous les corps du Stravinski. Fascinant. Impossible non plus de se défaire de cette électro-pop entraînante telle If I Ever Feel Better ou 1901. Une heure et demi plus tard se terminera donc cette escalade sonore et visuelle par une touchante prestation acoustique de Rome, chantée par Thomas Mars dans un public qui sera radicalement différent le lendemain soir pour les venues de Herbie Hancock et Chilly Gonzales.

Phoenix Montreux Jazz Festival, le 01.07.2017 Photographe : Lionel Flusin

Phoenix au Montreux Jazz Festival, le 1er juillet 2017 Crédit photo : Lionel Flusin

En effet, ce n’est plus une foule compacte qui se dessine devant la scène mais bel et bien un parterre assis à 360$ la place — on vous rassure, les places debout en arrière de salle étaient moins dispendieuses. Ce dispositif n’a modifié en rien l’expérience vécue pour cette soirée sous l’égide du piano sous toutes ses formes. De la version plus jazz-fusion de Hancock à celle classique-pop de Gonzales, il n’y a qu’un pas. Chacun d’eux maîtrise leur sujet et recherche l’expérimentation.

Hancock, 77 ans, s’appuie notamment sur son saxophoniste Terrace Martin, musicien talentueux et producteur de renom (Kendrick Lamar, Snoop Dogg, Stevie Wonder) qui lui permet d’atteindre de nouvelles sphères musicales. Si le natif de Chicago a joué certaines références de son répertoire dont le mythique Cantaloupe Island, il s’est aussi aventuré sur les traces du vocoder cher aux artistes de hip-hop. À tord ou à raison, tout cela reste discutable. Mais, dans un monde musical en constante progression, Hancock prouve qu’il n’est pas accroché à son passé. Il évolue, maîtrise peut-être moins cette nouvelle donne lorsqu’il s’écarte de son piano à queue, mais sa démarche reste louable. Et c’est là que l’on reconnaît les grands du jazz qui sont de véritables expérimentateurs auxquelles se greffe aussi Gonzales.

Herbie Hancock Montreux Jazz Festival, le 02.07.2017 Photographe : Lionel Flusin

Herbie Hancock au Montreux Jazz Festival, le 2 juillet 2017 Crédit photo : Lionel Flusin

Dans un tout autre registre, beaucoup moins jazz que Hancock, le Canadien a offert un concert surprenant aux spectateurs du Stravinski pendant une heure et demi. Arrivé sur scène en robe de chambre avec quarante-cinq minutes de retard parce que Hancock avait prolongé son expérience sur scène, le Montréalais d’origine a commencé tout en douceur son concert par un toucher exquis sur son imposant Steinway & Sons. Sa figure en impose aussi, mais contraste vite avec ses doigts de velours qui glissent facilement sur les touches du piano.

Le moment est solennel, on transite par des influences diverses pour aboutir à des morceaux originaux qui reconnectent sans doute le classique auprès des générations d’aujourd’hui puisque se mêlent pop et hip-hop dans ces mélodies souvent en mineur. Quelques assauts à la batterie mais surtout une saine complicité naît entre Gonzales et son Kaiser Quartett à mesure que le concert progresse, comme sur Dot où se martèlent ensemble cordes de piano et violon.

Chilly Gonzales Montreux Jazz Festival, le 02.07.2017 Photographe : Lionel Flusin

Chilly Gonzales au Montreux Jazz Festival, le 2 juillet 2017. Crédit photo : Lionel Flusin

Un festival qui perdure

Sous la houlette de Claude Nobs, ce festival à échelle humaine s’est taillé une solide réputation depuis 1967 en invitant dès sa deuxième édition Nina Simone, puis par la suite Ella Fitzgerald, Miles Davis, Deep Purple ou encore Prince. Au cours des cinquante dernières années les genres ce sont entremêlés, des jams se sont improvisées et des artistes sont souvent revenus à l’image du guitariste Carlos Santana.

Mais pourquoi reviennent-ils ? En partie grâce à cette minutie suisse qui charme les spectateurs, la presse mais surtout les artistes. Le Festival est constamment aux petits soins, ne négligeant aucun détail. Ce n’est pas pour rien que le grand producteur Quincy Jones, « frère » du regretté Nobs, a fait le déplacement en terres helvétiques pour introduire dimanche soir son ami Hancock, un habitué du circuit. Et ce n’est pas pour rien non plus que Phoenix ait chaleureusement remercié l’organisation pour son accueil et la qualité du matériel sur le site du festival. En effet, que ce soit pour les musiciens ou les spectateurs, l’acoustique des trois salles est tout simplement fantastique tout comme cet effort déployé en partenariat avec l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne pour enregistrer ou numériser les concerts de ces cinquante dernières années à l’aide des nouvelles technologies.

Dans un environnement fantastique, le Montreux Jazz a donc réussi le pari de s’affirmer au cours de ces cinquante dernières années comme un festival majeur à l’international en phase avec son temps et les (r)évolutions musicales et technologiques qui vont avec. Et nul doute que sa réussite qui perdure se perdurera pour les années à venir. À commencer par la quinzaine à venir!

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