Table Rase à Espace Libre | Un pacte à la vie à la mort
Après l’immense succès qu’a rencontré la pièce Table Rase l’hiver dernier, sa reprise était grandement et surtout très légitimement attendue. C’est donc à Espace Libre que se tiennent présentement les représentations de cette production de Transthéatre, dont la dernière aura lieu samedi le 21 janvier.
Les lumières s’éteignent. Des voix se rapprochent. La porte s’ouvre et six jeunes femmes font leur entrée dans le chalet, bagages et oreillers en main. Les manteaux sur le lit dans la chambre du fond, les provisions dans la cuisine, les vingt-deux bouteilles de vin directement sur la table.
Dès le début, on sent que quelque chose se trame, qu’elles ne se sont pas retrouvées dans ce chalet-là uniquement pour un banal souper. C’est un point tournant. Un pacte est scellé et tranquillement, on comprend qu’après ce soir, rien ne sera jamais plus pareil. Les coupes de vin se vident, les langues se délient et la tension monte alors que petit à petit, on devine vers où la soirée s’enligne.
L’intimité de la salle et le fait que jamais elles ne s’adressent au public contribuent au sentiment de voyeur qui nous habite très vite; comme si l’on assistait à quelque chose de très intense, mais à la dérobée.
Le langage est familier, cru, mais surtout honnête. Il coule de lui-même. Chaque mot a sa place. Chaque échange a sa raison d’être. Ça jase fort; de tout et de rien, d’ébats sexuels plus ou moins réussis, de porn (vegan ou non), d’orgasmes simulés, de maladie, de fin du monde et d’amants qui font plus ou moins la job. Les sujets s’enchaînent et les conversations sont tellement fluides qu’on a peine à croire qu’il y a un texte d’appris en arrière de tout ça.
Comme quoi ce texte de Catherine Chabot (qui est aussi l’une de six comédiennes) est parfaitement construit. Il faut dire que la metteure en scène, Brigitte Poupart, ainsi que les cinq autres interprètes (Vicky Bertrand, Marie-Anick Blais, Rose-Anne Déry, Sarah Laurendeau et Marie-Noëlle Voisin) ont elles aussi contribué à ce texte. Il s’en trouve d’autant plus riche et parfaitement adapté alors que les répliques trouvent naturellement leur place dans la bouche de chacune.
Les personnages sont extrêmement typés et rapidement la personnalité de chaque jeune femme ressort. Le texte parvient à dresser le portrait et la dynamique d’une gang de filles qui se connaissent depuis l’enfance. Des filles qui n’ont pas de secrets l’une pour l’autre et qui n’ont pratiquement rien en commun, mais qui s’aiment sans condition. Les échanges vont vite et les messages sont expéditifs. Personne n’a peur des mots et personne n’a peur de confronter l’autre. Bien qu’elles abordent des sujets parfois difficiles, jamais elles nous laissent les yeux dans l’eau trop longtemps. Elles parviennent toujours à nous faire ravaler la larme qui s’apprête à couler avec un éclat de rire bien franc. On passe d’une émotion à l’autre sans même s’en rendre compte.
L’oeuvre vient questionner la liberté, le bonheur possible ou non, la vingtaine, la peur de demain, l’existence de l’amour, la mort éminente, la sexualité pas tout le temps rose, l’amitié inconditionnelle, les souvenirs, le Québec, le système capitaliste, les angoisses du quotidien et l’affranchissement total. Bref, tout y passe et le moins qu’on puisse dire c’est qu’elles ne passent pas par quatre chemin.
C’est dans un décor relativement simple dont la pièce maîtresse consiste en une grande table entourée de six chaises que la mise en scène parfaitement orchestrée de Brigitte Poupart prend tout son sens. La pièce peut être vécue différemment selon l’endroit où l’on est assis ou encore quelle conversation on décide de suivre alors qu’à plusieurs reprises, des échanges prennent place en même temps entre deux ou trois personnages. On peut décider d’écouter ce qui se dit à table alors que notre voisin s’intéresse plutôt aux deux autres qui fument une clope près de la porte.
La complicité qui règne entre les six comédiennes est touchante et réchauffe le coeur. On aurait tous envie de rajouter une chaise au bout de la table et de faire partie de ce groupe de jeunes femmes parce que quelque part, Table Rase est aussi un hommage à la femme. La femme désillusionnée, mélancolique, mais aussi la femme optimiste et épicurienne. C’est une oeuvre poignante et inspirante qui trouve le moyen de remettre nos vies en perspective l’espace d’une heure et demi.
À l’affiche encore toute la semaine, à Espace Libre. Les places sont limitées et les billets sont en vente ici.
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