crédit photo: Maxim Paré-Fortin
Safia Nolin

Surveillée et Punie au FTA | Dans les souliers de Safia

Le Festival TransAmériques bat son plein depuis le 22 mai. Parmi la variété d’œuvres offertes dans la programmation de cette année se trouve une création musicale unique proposée par l’autrice-compositrice-interprète Safia Nolin et le metteur en scène Philippe Cyr. Nous étions sur place pour la deuxième représentation du spectacle.

Le FTA offre principalement du théâtre et de la danse dans ses programmations, mais une exception est faite cette année avec ce spectacle unique en son genre de par son contenant, mais surtout de par son contenu. Il s’agit ici d’une performance de Safia Nolin, accompagnée d’un chœur, qui utilise les insultes qui sont dirigées à son égard comme source de création.

Chanter la haine sur Safia

La salle du Prospero est pleine ou presque pour cette représentation. Le rideau tombe pour nous laisser devant une mise en scène assez unique. Sur une estrade de tapis colorés se trouve une chorale de chanteurs qui portent des cagoules. C’est dos au public que Safia est assise devant le chœur qui s’apprête à déverser les propos haineux sur la chanteuse. La chorale anonyme chante en harmonie les insultes que Safia reçoit régulièrement. Pour éviter la confusion sur les atrocités chantées, des écrans sont disposés pour illustrer les paroles, ce qui contribue à l’authenticité de la chose. Des rires incertains sont entendus, en réaction aux premières phrases qui peuvent paraître invraisemblables. « Charogne, vidange, sable dans le vagin » sont parmi les choses répétées, et ces exemples sont bien loin du pire.

Les textes dégoûtent de plus en plus, mais sont toujours aussi harmonieusement récités, ce qui renvoie à une certaine absurdité. Néanmoins, c’est quelques minutes plus tard que le ridicule devient lourd et violent. Comment peut-elle recevoir ce genre de propos tous les jours? Les masques des chanteurs de la chorale tombent un à un. Les insultes rimées sont délaissées pour un moment où un soliste chante en long et en large une menace d’une violence extrême à la chanteuse, qui est toujours au sol. Les petits ricanements se sont transformés en visages terrifiés.

* Photo par Maxim Paré-Fortin.

Heureusement, on a droit à un moment plus léger ensuite avec l’apparition d’une mascotte qui viendra danser sur les profanations qui n’ont toujours pas cessé. L’identité de la personne sous le costume est dévoilée après la chorégraphie pour donner lieu à toute une surprise. Celle que l’on croyait être la chanteuse ne l’était pas réellement (nous ne divulgâcherons rien). Les chœurs reprennent par la suite avec maintenant Safia et son invitée, qui se mettront à nu au sens littéral et figuré.

Les deux femmes se lavent sous la pluie d’insultes qui a repris. Safia prend aussi le temps de chanter seule avec sa voix et ses textes qui feraient pleurer les plus durs à cuire de la ville. C’est aussi dans ces moments en chant qu’elle répond en quelque sorte aux individus à l’origine des méchancetés à son égard. Dans la deuxième moitié de la représentation, le public écoutera un appel entre l’artiste et la police qui est survenu après une menace reçue par la chanteuse. Un enregistrement qui fait rire le public de par l’indifférence totale de la policière face au cri à l’aide de Safia, mais qui glace le sang du même coup. C’est difficile à entendre, mais ça ne s’arrête pas ici. Les écrans présentent les nombreux lieux sur Montréal où se trouvent des graffitis haineux sur la jeune femme, pour ensuite afficher la liste des noms de tous ceux qui ont envoyé les messages destructeurs qui ont été chantés. L’œuvre termine intimement avec un moment gracieux où Safia et la chorale remettent en perspective cette haine dirigée sur sa personne.

* Photo par Maxim Paré-Fortin.

L’œuvre est une remise en question de la limite de la liberté d’expression, mais surtout une vitrine sur la haine que peut subir une femme de la communauté LGBTQ+ dans la sphère publique. Les chants provoquent une multitude de sentiments complexes qui sont conflictuels. D’une part, on s’imagine mal recevoir autant d’insultes aussi méchantes et gratuites régulièrement. Un concept omniprésent dans la vie de Safia depuis qu’elle est connue du grand public.

C’est une frustration empathique pour celle qui chante devant nous. L’absurdité du processus mental de quelqu’un, qui ne connaît pas Safia, qui décide chez lui d’écrire des stupidités à son encontre, sans pour autant avoir été attaqué. Évidemment, la création est beaucoup plus complexe que ce qui a été décrit ici. C’est difficile de s’imaginer une aussi grande dose de méchanceté à son insu, mais une chose est sûre, c’est que l’œuvre donne un aperçu de ce que peut ressentir Safia Nolin quand elle est victime d’un déferlement sur les réseaux sociaux.

La dernière représentation aura lieu ce soir et affiche complet pour ce qui est une vitrine sur l’aspect sombre des réseaux sociaux et des dommages qui sont engendrés quand ils deviennent un outil pour propager de la haine. Les chanceux détenteurs de billets assisteront à une brillante perspective sur ce que l’une des plus talentueuses chanteuses québécoises subit, tous les jours, pour la simple raison qu’elle existe.

* Photo par Maxim Paré-Fortin.

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