crédit photo: Pierre Langlois
Sanam

Suoni Per Il Popolo – Jour 3 | L’expérience immersive et moderne de SANAM et Radwan Ghazi Moumneh

Samedi le 21 juin au soir, dans le cadre du festival Suoni Per Il Popolo, la Sala Rossa s’est transformée en un antre vibrant où le sextuor d’origine libanaise SANAM a offert une performance généreuse, oscillant entre transe méditative et exultation, portée par une énergie post-punk. Une traversée sonore dont les échos résonnent encore.

La soirée s’est ouverte sur un set expérimental de Radwan Ghazi Moumneh, réalisateur montréalais d’origine libanaise et copropriétaire du studio Hotel2Tango, où il a enregistré les deux premiers albums du défunt groupe Ought, au début des années 2010. D’autres artistes de renom, comme Arcade Fire, Ariane Moffatt ou Amadou & Mariam, y ont également enregistré des albums. Mais j’aime ramener Ought dès que je peux dans la conversation : je m’ennuie de ce groupe.

Quoi qu’il en soit, Moumneh a livré une performance en trois temps, dense et chargée. Ne parlant pas l’arabe, il m’est difficile de saisir pleinement l’intention de cette prestation dominée par des textes récités dans cette langue ; je relaterai donc la charge émotionnelle qu’elle m’a évoquée.

En premier temps, portés par des textures électroniques ponctuées de respirations et d’halètements, les mots de Moumneh évoquaient une forme d’urgence, une tension qui ressemblait à celle d’une fuite imminente.

Dans un second mouvement, en jouant du buzuq, toujours sur fond de boucles sonores électroniques, l’atmosphère s’est allégée, la lumière fut. Ce moment de répit n’a cependant pas duré : le troisième temps nous replongeait dans une certaine noirceur, donnant l’impression que l’oasis entrevue n’était pas aussi accueillante qu’espéré.

Après une prestation très inspirée, Moumneh a quitté la scène sous les applaudissements, avant d’y revenir plus tard pour accompagner un temps la tête d’affiche de la soirée, SANAM.

Le voyage entre tradition et modernité de SANAM

Le sextuor libanais SANAM a ouvert son concert avec Aykathani Malakon, morceau d’ouverture éponyme de son album paru en 2023. Dès les premières mesures, la prestance de Sandy Chamoun s’impose : sa voix, nourrie par le chant classique arabe, nous entraîne dans un voyage initiatique aux allures de traversée du désert — un périple soutenu par le jeu raffiné de Farah Kaddour, assise à l’avant, maniant le buzuq à merveille.

Il serait cependant réducteur de placer SANAM dans une petite boîte, celle de la musique du monde, celle de la musique arabe. Certes, les influences arabes sont audibles dans le chant de Chamoun et le jeu de doigts de Kaddour, mais ces influences s’intègrent habilement à des formes musicales modernes proches du rock expérimental, improvisé et clairement influencé par le noise.

Un bel exemple de cette « petite boîte qui n’en est pas une » est le titre Bell, toujours sur leur album Aykathani Malakon, rendu à merveille sur scène. Ce morceau, empreint d’une énergie furieuse, est porté par le groove de la basse d’Antonio Elhatt Moussa, la guitare psychédélique de Marwan Tohme, la batterie percussive et nerveuse de Pascal Semerdjian, et les textures analogiques d’Anthony Sayoun. Sur ce titre, la tension monte, la distorsion prend le dessus, et se dégage même en fin de morceau une énergie brute, presque punk. Le jeu de buzuq de Kaddour, ce qui peut paraître étrange, s’intègre parfaitement à cette atmosphère post-rock.

Tout au long de la soirée, SANAM a proposé des titres de Aykathani Malakon ainsi que d’autres extraits de son prochain album, Sametou Sawtan, qui paraîtra le 19 septembre prochain sur Constellation Records, un label indépendant montréalais spécialisé dans la musique avant-gardiste.

La création comme acte de résistance

Il n’est pas rare d’entendre de la part de musiciens et musiciennes issus de zones en guerre proclamer l’art comme un acte de résistance. Alors que la situation s’intensifie au Moyen-Orient, dans un message adressé à ses fans, SANAM indiquait que produire un album entre Beyrouth et Paris, dans un contexte marqué par la violence et la cruauté, relevait pour eux d’un acte de résistance obstinée — une forme de création entêtée, presque têtue, portée autant par la colère que par la tendresse, à l’image du monde fracturé qui les entoure.

N’étant pas complètement familière avec l’œuvre de SANAM, il m’a été difficile de distinguer les morceaux de leur premier album studio de ceux à venir. Cependant, se dégageait de la soirée une atmosphère un peu plus furieuse que sur Aykathani Malakon. L’album Sametou Sawtan sera donc peut-être encore plus métissée, avec une influence noise rock plus marquée. À suivre.

Sametou Sawtan, aux dires du groupe, n’aurait pas vu le jour sans l’incroyable dévouement et engagement de Radwan Ghazi Moumneh, qui, comme mentionné plus tôt, est d’ailleurs venu rejoindre SANAM sur scène pour un duo vocal très incarné avec Chamoun.

Nul doute que SANAM a laissé une forte impression chez celles et ceux qui ont eu la chance d’assister à leur premier concert à Montréal. Avec cette performance, ils ont certainement commencé à jeter les bases d’un public fidèle.

Au final, SANAM est définitivement un groupe à voir sur scène. Si vous êtes friands des plans de dernière minute, SANAM se produira en concert dans les studios de l’Hotel2Tango ce soir et demain soir — ce même studio où ils enregistreront plusieurs pistes en solo, en duo, etc. Billets disponibles ici.

Et si vous souhaitez plutôt apprécier l’incroyable jeu de buzuq de Farah Kaddour, dépourvu des influences musicales rock et modernes, on vous invite à découvrir son premier album solo, Badā.

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