
Suoni Per Il Popolo 2025 | 25e anniversaire au Théâtre de Verdure – No Justice, No Peace!
Pour celles et ceux qui ne le connaissent pas, le festival Suoni Per Il Popolo tire son nom de l’italien: les sons pour le peuple. L’événement a pour but d’apporter des formes musicales et sonores expérimentales au grand public. Samedi dernier, le 14 juin, le Suoni lançait son édition 2025 au Théâtre de Verdure du Parc Lafontaine tout en célébrant son 25e anniversaire. Retour sur un grand événement hors-norme dans un contexte grand public.
Sam Shalabi Septet
Lors de la première partie de la soirée, le Sam Shalabi Septet nous a proposé ce qui a été sans doute les moments les moins grands publics du lot. Shalabi (oud, électroniques, guitare électrique et composition) a réuni une solide équipe pour cet événement : Dina Cindric (piano et chant), Pierre Guy Blanchard (percussions, synthétiseurs et électroniques), Naomi McCarroll Butler (anches, flûtes et électroniques), Sarah Albu (chant et électroniques), Erika Angell (chant et électroniques) et Adrianne Munden Dixon (violon et électroniques).
Ils nous ont offert un mélange de musique traditionnelle arabe et de free jazz pimenté par une mise en scène anti-opéra absurde à la György Ligeti. Le mélange des genres a suscité à la fois malaise et rires chez certains qui ont quitté rapidement, mais l’approche singulière et inhabituelle a su charmer la majorité qui est toutefois restée sur place pour entendre la suite.
Erika Angel
C’est tout d’abord seule sur scène que s’est présentée la musicienne. Une force émane de cette femme! Les premières notes se font entendre, une musique inquiétante, puis sa voix manipulée à la limite de la dissonance… La transe débute. Un rythme apparaît ensuite, un rythme qui pourrait faire penser à un rythme cardiaque, alors que la voix de la chanteuse s’y dépose, monocorde, obsédante et incarnée. La table est mise et les spectateurs font entendre leur satisfaction.
Telle une grande prêtresse, Angel entame Dress of Stillness, pièce hypnotique d’une durée de plus de 7 minutes qui lui permet d’exprimer une poésie à la sensibilité exacerbée. C’est aussi à ce moment que son batteur Liam O’neill se joint à elle. Leurs forces combinées augmentent l’intensité du moment.
Maintenant, mes sentiments ont trouvé des ailes
Et, tournoyant blanchâtrement autour de ton visage,
Mon esprit, vêtu de son habit de silence,
Se tient devant toi, oh, ne vois-tu pas ?
Dans ton regard, ma prière de mai ne
Pousse-t-elle pas jusqu’à maturité comme sur un arbre ?
Suit Up My Sleeve offre un choc électrique où le batteur s’en donne à cœur joie, un des moments forts de la soirée. Mais ce qui a suivi l’était tout autant, les spectateurs étant appelés à répéter en choeur des mots clés récités par l’artiste. La retenue n’était plus au rendez-vous et la communion entre la chanteuse et l’auditoire a eu lieu.
Angel est une perle rare sur la scène musicale montréalaise. Elle compose selon ses propres critères : ancrée dans l’avant-garde, elle a totalement séduit l’auditoire.
Black Ox Orkestar
La prestation a débuté de manière assez sage avec une pièce assez traditionnelle : c’est chaleureux et festif, mais on y sent un brin de nostalgie, et la voix rappelle Leonard Cohen par moments. On nous sert ensuite une ballade intitulée Abandon Love, alors que l’accent est ici mis sur le simple et le vrai. Épurée et solennelle, la pièce appelle à l’écoute.
Plus le temps avance, plus on est impressionné par les sublimes interventions de Jessica Moss. À travers les mélodies du groupe, on perçoit son violon en larmes richement texturé, sombre et toujours pertinent.
La musique que l’ensemble nous a présentée était délicieusement équilibrée entre les descentes et les montées, le rythme fixé par la basse lancinante de Stéphane Diamantakio, les interventions à la clarinette basse de Levine et les chants fragiles de Thierry Amar qui ont installé une ambiance parfaite pour l’entrée en scène de Matana Roberts, venue jouer une pièce en leur compagnie.
Matana Roberts
Quelle superbe transition que cette apparition de Matana Roberts avec le Black Ox Orkestar ! Un moment émouvant qui mettait la table pour une fin de spectacle mémorable.
Après cette pièce, seule sur scène, elle entame une improvisation solo. Sa musique installe un climat calme et mystique. Elle cesse ensuite pour chantonner une mélodie qu’elle invite les spectateurs à reproduire, et c’est sur ce fond qu’elle rejoue le refrain intrigant qu’elle venait précédemment d’entamer.
De temps en temps, elle dégage ses lèvres de l’embouchure de son instrument et répète comme un mantra « This is an improvisation, this is an improvisation ». Chaque action et chaque mot semble avoir une signification bien particulière pour elle.
La saxophoniste nous laisse connaître son indignation face à la situation actuelle aux Etats-Unis. Cela mènera à une incantation qu’elle répètera à plusieurs reprises « No justice, No peace! No justice No Peace! No justice No peace! ». Encore une fois, les spectateurs emboîtent le pas.
Bref, Roberts nous a offert un moment peu orthodoxe : un temps de réflexion, un instant de fragilité dans ce monde instable dans lequel nous vivons présentement. Elle a été conteuse, musicienne, ethnographe et militante.
Quelle belle initiative de la part du Suoni Per Il Popolo que d’offrir une programmation artistique mettant en vedette un large éventail d’approches créatives et un mélange éclectique de genres pour les faire découvrir à de nouveaux publics. Certains ont malheureusement quitté avant d’avoir goûté à tout ce qu’il y avait sur la table, mais la grande majorité sera restée jusqu’à la fin.
Cette soirée a démontré clairement les liens qui peuvent exister entre musique, son, art, et mouvements sociaux et progressistes.
Nous avons maintenant rendez-vous au festival 2025 qui débute aujourd’hui et se poursuit jusqu’à la fin du mois . Programmation ici !
- Artiste(s)
- Black Ox Orkestar, Erika Angell, Matana Roberts, Sam Shalabi
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Théâtre de Verdure
- Catégorie(s)
- Arabe, Avant-garde, Contemporaine, Experimental, Free jazz, Instrumental, Jazz,
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