crédit photo: Pierre Langlois
Irreversible Entanglements

Suoni per Il Popolo 2024 | Irreversible Entanglements + Silvervest + Tawhida Tanya Evanson’s Cyano Sun Suite

Le festival Suoni per Il Popolo a présenté mardi à La Sala Rossa une soirée de free jazz, un courant qui exprime les revendications sociales des musiciens noirs. Malgré l’annonce d’un incident plus que décevant, la soirée a été à l’image du free jazz : remplie de liberté, d’improvisation et de passion.

Depuis plus de 20 ans, le festival Suoni Per Il Popolo met en scène la musique expérimentale, l’art et l’activisme. C’est un lieu de rencontre pour des musiciens et musiciennes d’exception, que l’on pourrait penser réservé aux érudits, mélomanes et passionnés de jazz. Ce n’est pas mon cas.

Ce qui m’a incitée à participer à cette soirée de free jazz, c’est la vidéo de la performance d’Irreversible Entanglements dans la série Tiny Desk Concert de NPR Music. Le photographe de cet article me l’avait recommandée avec ce message : « J’ai l’impression que tu pourrais aimer ça. » Quelques jours plus tard, je lui ai répondu : « J’adore ! Merci tellement de m’avoir fait découvrir ça. Cette musique m’a paralysée d’un coup tellement elle est faite pour nous habiter. »

C’est donc avec l’idée de vivre ma propre version de ce Tiny Desk Concert que je me suis rendue à La Sala Rossa…

Tourner les projecteurs sur le film-concert Cyano Sun Suite

On va se le dire, la soirée a commencé par un pétard mouillé. En guise de coup d’envoi, on nous annonce que Moor Mother, l’envoûtante vocaliste et poète d’Irreversible Entanglements, n’a pu se rendre à Montréal en raison de problèmes d’avion, à l’instar de Mr. Worldwide au début du mois.

À peine avions-nous encaissé le coup que Tawhida Tanya Evanson est venue raviver l’enthousiasme en nous en nous criant que la soirée serait superbe et qu’elle nous présentait fièrement en « Wooooorrrlldd Preeeemmmmiiieeerrr! » son film-concert Cyano Sun Suite. Mon intérêt pour le film a décuplé proportionnellement à la déception de ne pas voir la poétesse Moor Mother sur scène.

Tourné à la Biosphère de Montréal, Cyano Sun Suite a été imaginé par Tawhida Tanya Evanson en temps de pandémie et inspiré, entre autres, du concert fétiche Pink Floyd: Live at Pompeii sorti en 1972. Réalisé par Stefan Verna, le film met en vedette l’improvisation musicale des membres de Kalmunity Vibe Collective : Jean-Michel Frédéric (claviers), Erik Hove (saxophone), Mark Haynes (basse), Jahsun (batterie), Elli Miller Maboungou (percussions) et le poète invité Kaie Kellough.

En plus d’avoir écrit et produit le film-concert, Tawhida Tanya Evanson en est également la principale interprète: elle y récite, sur des rythmes de jazz et de soul improvisés, sept poèmes proposant une vision du monde afrofuturiste.

Le film alterne entre de superbes images du collectif jouant à l’intérieur de la Biosphère, des vues nocturnes aériennes de Montréal où le symbole d’Expo 67 apparaît en avant-plan, et des séquences évoquant des structures organiques cellulaires et tissulaires. Le film termine sur des images d’archive hautement symboliques de la Biosphère qui s’embrasait en 1976.

Ce film m’a permis de découvrir la richesse poétique, musicale et scénique de Kalmunity Vibe Collective et de Tawhida Tanya Evanson. Une expérience qu’on devra vivre en live.

Silvervest a brillé de mille feux

Le duo local et intimiste Silvervest, formé de Kim Zombik (voix) et Nicolas Caloia (contrebasse) a brillé de mille feux en cette soirée. Les personnes rassemblées à la Sala Rossa ont pu entendre l’étendu de l’expression artistique de musiciens qui ne sont pas limités par leurs talents ou les codes musicaux traditionnels.

Zombik a épaté de sa voix d’ange, juste assez écorchée, en nous racontant les travers de la vie avec une tendresse qui donne espoir. À la frontière de la musique pop, du jazz, du storytelling et de l’incantation, la performance de Zombik a rappelé certaines fascinantes envolées poétiques de Jim Morrison (The Doors) et les interprétations incarnées de Martha Wainwright. Cette charismatique interprète chante, cri, soupire, et change sa voix pour jouer des personnages, utilisant ainsi mille et une facettes pour bien raconter, pour captiver.

Caloia qui l’accompagnait à la contrebasse a également déployé tout un éventail de techniques au service de l’expérience musicale : pincement de cordes, utilisation de l’archet, harmonique, distorsion, et j’en passe. Il donnait l’impression que chaque note, chaque technique, avait été méticuleusement choisie afin de transmettre une émotion le plus précisément possible. Tout cela en gardant la chaleur du jeu instinctif. De la haute voltige.

On retiendra de cette performance que le duo Silvervest n’est pas limité par les moyens quand vient le temps de véhiculer un message. Avec Silvervest, ce n’est pas la technique qui dicte la musique, mais la musique qui dicte la technique.

Silvervest aura été le coup de cœur de la soirée, et on ne manquera pas de revoir en concert ce groupe de Montréal.

Irreversible Entanglements, sans sa poétesse activiste

La mission était difficile. Comment allait se débrouiller le quatuor d’une soirée sans sa poétesse activiste Camae Ayewa (Moor Mother)? C’est sa poésie parlée, chantée, criée, à la manière d’une prédicatrice (preacher si vous préférez) surplombant un agréable mais dissonant chaos musical qui m’avait charmé sur vidéo.

La longue Intro ne laissait présager rien de bon avant que celle-ci converge vers la section musicale de l’excellent Protect Your Light, titre de leur dernier album à mi-chemin entre une matinée à l’église haïtienne et un après-midi au tam-tam. J’imagine que les autres admirateurs de IE ont tout comme moi imaginé le chant de Moor Mother surimposée sur la section rythmique pour la compléter.

Mais c’est que quand le saxophoniste Keir Neuringer est entré en scène et qu’il y est allé d’une longue envolée musicale de saxophone alto d’une rapidité hallucinante que la prestation a réellement pris son envol.

On a eu le droit à quelques autres beaux moments musicaux lorsque la trompette de Aquiles Navarro et le saxophone soprano de Neuringer se donnaient la réplique, ou quand tout simplement ils jouaient simultanément leur propre idée musicale. Un peu comme quand un groupe d’ami en fin de soirée parle tous en même temps. Il y a quelque chose de beau et de fascinant dans ce chaos sonore. Encore faut-il apprécier le chaos et l’esprit libre de ces soirées.

La dissonance du jeu de trompette et de saxophone trouvait cohérence et ancrage grâce à la section rythmique assurée par le batteur Tcheser Holmes et le contrebassiste Luke Stewart. Tous deux étaient d’une précision et rapidité impressionnantes, précision et rapidité qu’ils ont soutenus tout le long de leur prestation.

C’était une mission difficile, mais pas impossible de pallier l’absence de la chanteuse qui normalement colmate ce chaos de sa poésie revendicatrice, libre et incarnée. Si Navarro avait évité tout rapprochement avec le micro (chaque fois cela m’apparaissait comme un désastre) et que Steward avait mieux assumé un leadership qui lui semble naturel, la soirée aurait pu terminer en grande pompe alors que le Outro reprenait la section musicale de Protect Your Light, à l’instar de l’Intro. Il en aurait fallu de peu pour que la voix de Moor Mother que chacun entendait dans sa tête se transforme en chorale improvisée, pour notre plus grand plaisir.

Malgré que chaque musicien fût à la hauteur de son talent, ce fût tout de même un rendez-vous manqué. Il me faudra attendre que le quatuor d’une soirée se représente en quintet pour vivre ma soirée Tiny Desk Concert.

En attendant, le voici, ce fameux « concert dans un petit bureau » :

 

Photos en vrac

Irreversible Entanglements

Silvervest

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