Salut Claude! à Longueuil | Enfin un hommage au grand Claude Léveillée
Depuis que Claude Léveillée nous a quittés en 2011, il n’y avait jamais eu de spectacle consacré à son immense talent et à la place qu’il occupe toujours parmi nos plus grands. C’est maintenant chose faite grâce à une production du Théâtre Omnivore et du Théâtre du 450. Avec étonnement, c’est dans une ancienne chapelle du Vieux-Longueuil qu’il faut aller pour voir Salut Claude!, un spectacle hommage inusité à cette icône éternelle parmi nos meilleurs auteurs-compositeurs-interprètes.
Claude Léveillée a écrit et composé plus de 400 chansons, de même que des musiques instrumentales et plusieurs comédies musicales avant que le terme existe, en particulier avec Louis-Georges Carrier au Théâtre de la Marjolaine à Eastman. Il est un précurseur, un fondateur, un bâtisseur et un exceptionnel révélateur de notre identité culturelle. Il a chanté l’amour, la conscience sociale de son époque et le pays auquel il avait mal, il a dépeint l’âme humaine comme peu réussissent à le faire.
Spectacle intimiste, Salut Claude! retrace le parcours d’un artiste surdoué mais aussi celui d’un homme tourmenté. Les trois comédiens-chanteurs et le pianiste Marc-André Perron ont conçu un spectacle hybride où les voix ne sont pas toujours justes, et les animations parfois faibles entre les chansons, mais plein de bonne volonté et qui touche à n’en pas douter une seconde les quelque 80 spectateurs réunis dans l’ancienne chapelle Saint-Antoine où l’on consomme maintenant de l’alcool pendant les spectacles.
Olivier Turcotte, Andréanne Marchand-Girard et Émilie Allard ouvrent le spectacle à trois avec la chanson où « un rideau de scène » vient trancher entre la vie et la mort. Ils n’auraient pas pu choisir meilleur titre comme entrée en matière. Et tout du long, il sera étonnant aussi d’entendre les chansons de Claude Léveillée interprétées par des voix de femmes, et se laisser prendre par la nouvelle dimension qu’elles y apportent.
La légende du cheval blanc, Mon pays, Elle tournera la Terre, Emmène-moi au bout du monde, Frédéric, Les vieux pianos, Le temps d’une chanson, L’Hymne à l’amour, elles y sont toutes, chacune porteuse des maux du monde autant que de la vie telle qu’en elle-même avec ses joies et ses peines, ses forces et ses faiblesses. Olivier Turcotte en particulier, avec sa voix grave proche de celle de Léveillée, a tout pour nous confondre avec l’original.
Des anecdotes amusantes nous sont également racontées, comme celle du choix de Frédéric, avec ses trois syllabes nécessaires à la rythmique de la composition, plutôt que le vrai prénom de son frère qui s’appelait Jean. Et la lecture de témoignages de proches, souvent les femmes de sa vie, viennent ajouter une dose d’authenticité certaine à l’ensemble.
Claude Léveillée, c’est l’ouverture en 1959 de la première boîte à chansons à Montréal, Chez Bozo, sur la rue Crescent. Le mot, emprunté ironiquement à Félix Leclerc, regroupait les meilleurs de l’époque, autant Clémence Des Rochers et Jean-Pierre Ferland que Raymond Lévesque, André Gagnon, Jacques Blanchet et Hervé Brousseau.
C’est aussi l’épisode intense cette même année de ce qu’il a vécu avec Édith Piaf qui l’avait séquestré dans son appartement du boulevard Lannes à Paris pour qu’il lui écrive des chansons. C’est le suicide à 20 ans de son fils Pascal qui ne comprit jamais pourquoi son père l’avait rejeté dès sa naissance. C’est la fondation de la troupe du Théâtre de Quat’Sous en 1955 avec ses potes Jean-Louis Millette, Yvon Deschamps, Louise Latraverse et Paul Buissonneau. C’est le premier chansonnier québécois à se produire seul à la vénérable Place des Arts en 1964.
C’est surtout un grand compositeur et pianiste, un grand parolier et mélodiste, un acteur étonnant aussi, au cinéma, à la télévision et même au théâtre sous l’emprise de la belle folie de Paulo Buissonneau mettant en scène La Tour Eiffel qui tue en 1957 avec quatre sous.
Le Théâtre Omnivore, une compagnie habituée du Festival Fringe de Montréal, qui y a présenté avec succès Les Justes d’Albert Camus l’année dernière, ou encore Les Troyennes d’Euripide dans l’adaptation de Jean-Paul Sartre en 1964, tient là un petit bijou de spectacle, malgré un certain manque de rigueur dans la mise en scène de Jacinthe Gilbert, mais que lui pardonne aisément le public.
Il est à souhaiter que cet émouvant Salut Claude! se prolonge, et même, pourquoi pas, se déplace jusqu’à la Salle Claude-Léveillée de la Place des Arts, à la mémoire toujours vivante de celui qui a écrit : « Je m’en vais sur la Lune. Prenez grand soin de mes oiseaux ».
Photo en bannière par Eva-Maude TC.
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