Saison 2018-2019 du Théâtre Espace Go | La 32e avec une même audace artistique pour Ginette Noiseux
Ginette Noiseux, la doyenne des directeurs artistiques au théâtre montréalais, vient d’annoncer ce dont sera faite la 40e saison du Théâtre Espace Go, suivant la présente année écourtée en raison de travaux majeurs qui en ont fait maintenant un lieu à la fine pointe. Neuf spectacles seront présentés, dont quatre portant la signature de Go et cinq en collaboration avec d’autres compagnies de théâtre.
La saison démarrera en septembre par ce que Ginette Noiseux appelle déjà « un spectacle-événement », avec son imposante distribution de 14 comédiens, soit neuf femmes et cinq hommes. Il s’agit de Le reste vous le connaissez par le cinéma, un texte inspiré des Phéniciennes d’Euripide par le Britannique Martin Crimp, né en 1956, et dont Go a présenté déjà Le Traitement et La Ville.
Le texte, traduit et mis en scène par Christian Lapointe, est une vision contemporaine du mythe d’Œdipe (Éric Robidoux), qui a épousé sa mère Jocaste (Nathalie Mallette), et ont eu deux fils ennemis joués par Jules Ronfard (le fils d’Alice et petit-fils de Jean-Pierre) faisant ses débuts professionnels, et Gabriel Szabo.
« Avec Crimp, on est loin d’Euripide, tient cependant à préciser Ginette Noiseux. Christian Lapointe, dont on connaît l’imaginaire fertile, et la dramaturge Andréane Roy, ont situé l’action dans une salle de classe. Les Phéniciennes, prises en otages par la guerre, commentent avec un humour féroce ce qui s’y dit, posant des questions telles que pourquoi les hommes sont-ils si impuissants à remédier à leur propre barbarie ? On est dans un univers très mordant. » La distribution comprend aussi Marc Béland, Lise Castonguay et Paul Savoie.
Suivra Le Désert mauve, un texte de Nicole Brossard à partir de son roman culte publié en 1993 et centré sur la révolte d’une adolescente de 15 ans, établi en collaboration avec Simon Dumas qui signe aussi la mise en scène. Les deux d’ailleurs seront sur scène, en interaction avec huit comédiens sur vidéo, parmi lesquels Evelyne de la Chenelière, Marie Gignac et Judith Rompré. Une production avant-gardiste de Rhizome de Québec conjuguant plusieurs disciplines, présentée en collaboration avec Go dans le cadre du Festival international de la littérature.
En octobre, après avoir joué à guichets fermés l’année dernière, et même en tournée québécoise, le Théâtre PÀP ramène Le Déclin de l’empire américain. Alain Farah et Patrice Dubois, ce dernier jouant dans la pièce qu’il met en scène, ont adapté le scénario du fameux film de Denys Arcand avec ses quarantenaires remettant en question leurs vérités sur la vie et toutes choses. Anne Casabonne, Alexandre Goyette et Marie-Hélène Thibault sont de la distribution de neuf comédiens. Consultez notre critique.
* Photo par Claude Gagnon.
L’automne se poursuivra avec les deux versions de L’Assemblée et The Assembly, par la nouvelle compagnie en résidence Porte Parole. Le texte est signé par Alex Ivanovici, Brett Watson, et Annabel Soutar, la pionnière du théâtre documentaire au Québec. « Annabel travaille toujours sur des sujets très polarisés, dira d’elle Ginette Noiseux, avec des protagonistes aux opinions complètement divergentes sur des sujets sensibles comme le port du voile, le féminisme actuel, le racisme, les dangers de l’immigration musulmane. Annabel est obsédée par l’idée de faire un théâtre permettant au citoyen de développer un dialogue, même quand on ne s’entend pas. » Ainsi, le public sera invité à prendre position pour ou contre, ce qui donnera un spectacle différent chaque soir.
L’année 2019 débutera au Théâtre Espace Go en s’inspirant d’un autre texte ancien, Electre de Sophocle, dans la mise en scène attendue de Serge Denoncourt et la scénographie éclatée de Guillaume Lord qui encerclera le public. Le nouveau texte a été écrit par Evelyne de la Chenelière à partir de la traduction mot à mot d’une helléniste. C’est Magalie Lépine-Blondeau qui jouera à contre-emploi le rôle terrifiant d’Electre, assoiffée de vengeance envers sa mère et l’amant de celle-ci suite au meurtre de son père.
Ginette Noiseux, qui est aussi une costumière de grande renommée, a accepté d’en signer les costumes. Elle dira : « Je suis très proche de Serge Denoncourt qui a déjà mis en scène Bérénice chez nous. Tous les deux, nous irons à Istanbul cet été pour nous imprégner des couleurs, des tissus, de l’iconographie du Proche-Orient. On veut vraiment être dépaysés, et porter le personnage d’Électre dans un autre univers. »
En mars 2019, la metteure en scène toujours rigoureuse Brigitte Haentjens réalisera son projet de longue haleine de transposer au théâtre la vie et l’œuvre de la poétesse, chanteuse, musicienne et artiste visuelle américaine Patti Smith. Parce que la nuit, qu’elle a écrite avec le comédien Dany Boudreault, nous fera redécouvrir la discordante Patti Smith, surnommée « la femme corbeau » avec ses habits masculins et son comportement rebelle annonciateur, dès les années 70, de toute l’esthétique punk à venir.
C’est Céline Bonnier qui incarnera la poétesse libre et radicale qui a fréquenté le photographe Robert Maplethorpe à New York, et puisé son inspiration en contre-culture chez Arthur Rimbaud aussi bien qu’auprès de William S. Burroughs. Trois musiciens, dont Bernard Falaise, seront sur scène.
Suivra Quartett, du grand auteur allemand Heiner Müller, qui s’était inspiré des personnages immoraux des Liaisons dangereuses de Laclos où le rituel du désir et de la séduction est aussi destructeur que charnel. Il faudra voir ce que fera de la marquise de Merteuil (Ève Pressault) et du vicomte de Valmont (Adrien Bletton), la metteure en scène en résidence Solène Paré. « Le public va la découvrir. On rencontre une artiste comme elle une fois aux 15 ans », dira à son sujet Ginette Noiseux.
En fin de saison, nous pourrions être surpris à nouveau par la pièce Strindberg, une mise en scène de Luce Pelletier qui viendra clore le Cycle scandinave du Théâtre de l’Opsis. Militant antiféministe violent, opposé à l’affranchissement des femmes, misogyne notoire entre génie et monstre du 19e siècle, le dramaturge suédois August Strindberg se fera prendre dans une souricière imaginée par Luce Pelletier.
À partir de la correspondance de l’auteur de Mademoiselle Julie et Le Songe avec ses trois ex-épouses, la metteure en scène a proposé à neuf auteures québécoises de se substituer aux trois femmes et de répondre à ces lettres comme elles auraient pu le faire aujourd’hui, même si l’on ne le saura jamais.
Parmi ces neuf auteures, on retrouvera Anaïs Barbeau-Lavalette, Emmanuelle Jimenez et Jennifer Tremblay. David Boutin incarnera le personnage méprisant et haïssable de Strindberg, avec entre autres à ses côtés Isabelle Blais et Christophe Baril. « C’est très culotté comme projet. J’adore ce défi-là !», s’exclame Ginette Noiseux en ajoutant qu’il avait provoqué beaucoup de questions à Go qui, il ne faut pas l’oublier, est issu du Théâtre Expérimental des Femmes, ayant fait avancer par leur art la cause des femmes ici, une mission qu’endosse encore à ce jour le Théâtre Espace Go.
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