Robert Lepage

Saison 2018-19 du TNM | Voltaire, Dubé, Bouchard, Shakespeare, Lepage, Racine et Schmitt

C’est avec sa puissante dose d’adrénaline habituelle que la directrice générale et artistique du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), Lorraine Pintal, vient d’annoncer le menu alléchant de la prochaine saison du grand théâtre qui aspire à devenir institutionnel. Voltaire y rencontrera au détour Marcel Dubé et Michel Marc Bouchard, aussi bien que se relaieront Shakespeare, Robert Lepage, Racine et Éric-Emmanuel Schmitt. Vraiment, une programmation enlevante, offerte de pair avec la rénovation du théâtre attendue depuis si longtemps.

C’est la trop rare metteure en scène Alice Ronfard qui partira le bal en septembre avec Candide ou l’Optimisme, une création de Pierre Yves Lemieux d’après le roman férocement drôle de Voltaire. Dans une scénographie complice de Danièle Lévesque, la pièce s’appuiera sur le talentueux comédien Emmanuel Schwartz, alors que Benoît Drouin-Germain jouera le jeune Candide sous la férule de Patrice Coquereau en un Voltaire toujours aussi porté par le catastrophique.

Suivra l’un de nos plus grands dramaturges, Marcel Dubé qui nous a quittés en 2016, et sa pièce coup de massue Bilan, créée en 1968 à la Comédie-canadienne. Une analyse satirique de la nouvelle classe bourgeoise aisée en marge des relents du duplessisme se heurtant aux débuts de la Révolution tranquille.

Pour une première fois au TNM, c’est Benoît Vermeulen qui dirigera le couple arriviste des Larose, avec Guy Jodoin en William et Sylvie Léonard en Margot sombrant dans l’abus de pilules et d’alcool. Christine Beaulieu, Mickaël Gouin et Mathieu Quesnel font partie de l’imposante distribution de 12 comédiens. « Le pouvoir est un monstre froid », nous dit le programme.

En janvier 2019, Robert Lepage que Lorraine Pintal qualifie avec raison de « notre Shakespeare québécois », signera la mise en scène de Coriolan, traduite et adaptée par le poète et dramaturge Michel Garneau qui avait voulu une langue le plus proche possible de l’anglais ancien et populiste du célèbre auteur.

Robert Lepage, qui en présentera une production au Festival de Stratford l’été prochain, a tenu à reprendre en français québécois ancien son quinzième Shakespeare, avec Alexandre Goyette dans le rôle-titre, alias Marcius.

Militaire sans pitié issu de l’aristocratie, dont la redoutable mère Volumnia sera défendue par Anne-Marie Cadieux, Coriolan se mesurera au pouvoir politique fanatique exercé par Ménénius que jouera Rémy Girard. La très imposante distribution de 17 comédiens comprend également Jean-François Blanchard, Louise Bombardier, Jean-François Casabonne, Widemir Normil et Philippe Thibault-Denis.

Quoi de mieux au printemps suivant que de ramener enfin la si belle langue souveraine de Racine sur cette scène avec la tragédie Britannicus, retouchée et mise en scène par Florent Siaud, devenu incontournable. Portant la révolte en lui, c’est le solide Éric Robidoux qui défendra le rôle-titre, entouré de Sylvie Drapeau en Agrippine, la mère de Néron, jeune empereur menaçant joué par Francis Ducharme.

« Nous avons travaillé déjà un bon 25 heures en atelier sur la matière de la pièce et trouvé des axes intéressants, confie Éric Robidoux. C’est la première fois que je travaille en vers, et je trouve que ça s’apprend très bien. Que la pièce soit un grand classique ne change rien, dans le sens qu’on le fait toujours avec cœur. On veut que Britannicus ne soit pas qu’un amoureux tendre mais aussi un guerrier féroce, vendu par ses proches conseillers et leurs jeux de pouvoir. »

« Agrippine, enchaîne Sylvie Drapeau, la terrible, la furieuse, l’ambitieuse Agrippine est une grande manipulatrice, mais par réaction de survie, pour ne pas perdre le pouvoir. Au 5e acte, son fils Néron va la surpasser en manipulations. Elle croit en la rédemption, mais elle est fausse, elle est factice », ajoute la divine Drapeau qui, jeune actrice a joué du Racine avec Bérénice, sous la direction de Brigitte Haentjens, à l’époque de l’ancien Espace Go sur la rue Clark.

Il faudra attendre jusqu’en mai 2019 pour se réjouir d’une nouvelle collaboration, la septième par le tandem Michel Marc Bouchard au texte et Serge Denoncourt à la mise en scène, avec la création de la toute nouvelle pièce du dramaturge québécois le plus joué dans le monde. La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé se présente comme une pièce intimiste, une « traversée des apparences » qui réunira six comédiens : Éric Bruneau, Kim Despatis, Patrick Hivon, Julie Le Breton, Magalie Lépine-Blondeau et Mathieu Richard.

Le sujet étonne autant qu’il intrigue, puisque le rôle principal est celui d’une jeune femme devenue experte en thanatopraxie réputée de par le monde. Enfant, elle allait dans les maisons du voisinage la nuit pendant que les gens dormaient, pour pouvoir les observer à sa guise, comme comportement étrange.

Michel Marc Bouchard précise : « Elle n’est pas complètement autiste, mais tout de même en retrait du monde normal. Elle a une fixation sur un bel adolescent, Laurier Gaudreault, qui est le capitaine de l’équipe de hockey et celui qui a la plus grosse motoneige. C’est un drame enterré sous de fausses vérités révélées au décès de sa mère qu’elle revient embaumer dans son patelin au Lac Saint-Jean.

« Elle fait maintenant partie du jet set de l’embaumement en tant qu’art, que ce soit pour le roi Sihanouk au Cambodge ou pour Hugo Chavez au Venezuela. Mais, ce n’est pas Stabat Mater ni Mater Dolorosa. Au contraire, c’est une pièce à énigmes, à suspense, à tiroirs, avec des choses dévoilées qui sont assez surprenantes… »

Crédit photo Yves Renaud.

Avant, on aura vu en février Le Mystère Carmen, un spectacle musical optionnel à l’abonnement que Lorraine Pintal n’a pas pu résister à mettre en scène elle-même. Il faut dire que c’est à la demande du grand auteur français Éric-Emmanuel Schmitt avec qui elle a tissé des liens forts et productifs pour son Journal d’Anne Frank et Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, toutes deux présentées au TNM dans un passé récent.

Le Mystère Carmen réunira la mezzo-soprano bien connue Marie-Josée Lord, le ténor Jean-Michel Richer et le pianiste Dominic Bouliane, en plus de Schmitt qui sera lui aussi sur scène pour la narration de son texte dans le rôle du compositeur mort à 36 ans d’un infarctus, seulement trois mois après la création de son célèbre opéra.

Marie-Josée Lord, pour qui ce sera une première au théâtre, se disait ravie. « Je suis touchée par ce monsieur Schmitt que je vois comme très poétique, avec beaucoup de choses à dire. Il a su entrer dans le personnage de Georges Bizet et nous le faire connaître en même temps que le processus de sa création musicale, du comment cette Carmen-là est sortie de lui. » Bizet avait osé faire de sa Carmen une femme libre et forte avant son temps à l’opéra.

Enfin, si tout va bien, les travaux majeurs de rénovation du Théâtre du Nouveau Monde commenceront l’an prochain. « Nous en sommes aux dernières étapes de validation du projet qui se chiffre à 19 M, soit 7 M de Québec, 7 M d’Ottawa, 1 M de Montréal et 4 M en financement privé » dit la patronne des lieux.

L’ajout d’une deuxième salle de répétition permettra à la salle actuelle de devenir une salle de diffusion, mais pas sur une base permanente. « Ce que j’aimerais, dit encore Lorraine Pintal, c’est de consacrer occasionnellement la salle à des compagnies associées, avec des créations expérimentales d’artistes émergents devant un public de 150 places.

« On est très engorgés, on a vraiment besoin d’espace, on se marche sur les pieds constamment. Le hall du théâtre sera agrandi en reculant la billetterie, et nous aurons fenêtres sur rue. En plus de l’agrandissement des bureaux, nous ajouterons un atelier dédié à l’art thérapeutique, et un laboratoire de recherches. »

Comme pour tout le milieu des arts, la directrice du TNM attend impatiemment l’annonce avant la fin du mois du contenu de la nouvelle politique culturelle qu’entend promouvoir le gouvernement Couillard. Elle a rencontré à deux reprises la ministre de la Culture et des Communications, Marie Montpetit, qui lui a prêté une bonne oreille.

« Je sens que la ministre est ouverte à la reconnaissance d’un statut institutionnel pour que le TNM fasse ce que doit faire une grande maison de théâtre », conclue Lorraine Pintal avec la légendaire énergie créatrice qu’elle déploie depuis 1992 au cœur même du TNM.

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