Flore Laurentienne

Requiem pour fleuve. Flore Laurentienne au Jardin botanique

C’est dans une nature (organisée) qui n’a jamais été aussi spectaculaire, boostée par les pluies et le carbone flottant dans l’air, que Flore Laurentienne, le projet de Mathieu David Gagnon, a offert un concert majestueux au Jardin botanique, ce dimanche 30 juillet, dans la série Les Arts s’invitent au jardin. Le fantôme du frère Marie-Victorin, fondateur du Jardin botanique et auteur du célèbre traité de botanique Flore laurentienne, n’était jamais très loin.

Le concert s’est ouvert avec les synthétiseurs seulement, remplissant l’air de grésillements tandis que le vent d’ouest emmêlait les partitions, s’accrochant légèrement aux micros. Puis les cordes ont fait leur entrée en s’envolant haut, haut, haut, jusqu’aux érables argentés faisant guise de rideaux. C’est Fleuve no.1, joué par « le meilleur quatuor à cordes du monde entier », soit Annie Gadbois (violoncelle), Ligia Paquin (alto), Chantale Bergeron et Mélanie Bélair (violons), toutes quatre réussissant avec brio à accompagner les synthétiseurs parfois instables. La pièce s’envole et s’enfonce dans une boue opaque, dans un même mouvement. Est-ce une corne de brume ou les synthétiseurs qui lancent cet appel?

Le fleuve de Mathieu David Gagnon et son ensemble n’est pas celui de la villégiature et des touristes de passage qui s’y baignent les yeux l’instant d’une semaine. C’est le fleuve vaste et sauvage, toujours changeant, qu’il faut connaître pour y naviguer et en revenir. C’est aussi le fleuve en hiver, dans ses icebergs et son immobilité factice. On pourrait y entendre filtrer quelques vers de Miron : « par ce temps profus d’épilobes en beauté / sur ces grèves où l’été / pleuvent en longues flammèches les cris des pluviers » ou de Gatien Lapointe dans son Ode au fleuve:  « le mot prisonnier de la chair / l’accord caché au fond du sang / l’infini de l’univers et du cœur / la solitude sans fin de chaque être ».

Le concert se poursuit avec un habile entrelacement de pièces connues et nouvelles. En deuxième offrande, la pièce Fleur, légère comme un vent de terre, en cordes pincées et mélodie délicate comme un vol de pluvier, composée spécialement pour les Jardins de Métis. L’ensemble poursuit avec Fugue, répétant le motif sans jamais l’épuiser. Côté jardin, Mathieu David Gagnon mène la barque de main de maître, faisant un avec ses capricieux mini-moog, son visage se tordant et s’éclairant au fil des habiles dissonances qu’il produit. Puis la phrase mélodique se dépose enfin, dans une chute finale où le vibraphone propose un apaisement, avant que reprenne un ostinato électro qui nous traverse. « C’est-tu assez Pink Floyd pour vous, Montréal? » demande le compositeur, avec un grand sourire de renard.

Puis viennent Canon et Navigation IV. Le vent continue à souffler et à rafraîchir les spectateurs qui cuisent sous le soleil de juillet. David Gagnon, affairé derrière ses 4 claviers, dirige le quatuor à cordes qui s’emporte comme un essaim d’abeilles, avant que l’angoisse ne s’installe en finale. Et puis l’ensemble nous propose une nouvelle composition, Chaton de saule, inspiré des exercices Hanon pour pianiste. La légère composition donne à rêver aux premières fleurs du printemps et au vol des akènes plumeux. L’ensemble conclut avec deux pièces, dont une composition toute neuve (La nuit bleue), à découvrir dans un prochain album prévu à l’hiver prochain.

Cette musique est vaste, vaste. On ne voit plus le rivage, c’est certain. Est-ce la faute du brouillard? Ou sommes-nous en pleine mer? Les repères sont perdus, mais nous savons qu’un capitaine d’expérience tient la barre. Laissons-nous porter, la houle n’est pas si forte.

 

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