Projet de loi 10 | Québec veut recadrer les revendeurs de billets et protéger les consommateurs
Le gouvernement du Québec a officiellement déposé le projet de loi no 10, une initiative législative visant à mieux encadrer la revente commerciale de billets de spectacle et à contrer les pratiques « trompeuses » des plateformes de revente en ligne. Présenté par le ministre responsable de la Protection du consommateur, Simon Jolin-Barrette, le texte veut accroître la transparence pour que les acheteurs sachent explicitement quand ils naviguent sur un site de revente et puissent vérifier le prix « officiel » ailleurs avant de conclure un achat.
Trois mesures phares pour plus de transparence
Le projet de loi regroupe plusieurs mesures concrètes. D’abord, toute plateforme numérique dédiée à la revente de billets devra, dès l’accès au site, indiquer de façon évidente qu’il s’agit d’un site de revente et avertir que les mêmes billets peuvent être disponibles ailleurs à un prix inférieur, en précisant le prix annoncé par le vendeur autorisé par le producteur. Ensuite, le texte précise les informations minimales que la plateforme doit afficher au consommateur (prix d’origine, condition du billet, identité du vendeur, etc.). Enfin, le projet instaure une présomption élargie : quiconque facilite, par des moyens technologiques, la revente d’un billet (par exemple une place d’intermédiaire permettant la transaction) pourrait être tenu assujetti aux obligations prévues par la Loi sur la protection du consommateur.
Ces mesures visent à lutter contre des pratiques repérées ces dernières années : sites qui imitent l’apparence des billetteries officielles, affichage trompeur d’une fausse disponibilité, ou frais additionnels opaques ajoutés au moment du paiement. Le ministre a qualifié certains de ces acteurs de « parasites » du milieu culturel, reprochant à des plateformes commerciales de tirer profit du travail des artistes et producteurs sans leur reverser de revenus.
Ce que le projet n’interdit pas (du moins pour l’instant)
Contrairement à certaines propositions internationales (comme des initiatives visant à interdire toute revente au-dessus du prix d’origine), le projet de loi québécois ne cherche pas à criminaliser ou interdire la revente entre particuliers. Le gouvernement a clairement indiqué qu’il cible les commerçants et plateformes qui exercent la revente de façon commerciale et lucrative, non les citoyens qui revendent ponctuellement un billet qu’ils ne peuvent plus utiliser. De plus, la revente à un prix supérieur ne serait pas automatiquement interdite : elle resterait possible si le revendeur commercial détient le consentement explicite du producteur, ce qui est déjà le cas pour plusieurs revendeurs en ligne, qui font carrément affaire avec des producteurs et diffuseurs d’événements (sportifs notamment).
Cette approche cherche un équilibre : freiner les pratiques industrielles jugées déloyales tout en préservant une marge de manœuvre pour le marché secondaire privé, mais elle laisse ouvertes des questions pratiques sur l’application et l’effet réel sur l’écosystème du spectacle.
Le projet prévoit aussi d’interdire de facturer des frais pour le transfert d’un billet de spectacle, une mesure destinée à protéger le consommateur contre des coûts cachés. Par ailleurs, plusieurs dispositions de la Loi sur la protection du consommateur, y compris les mécanismes de sanctions administratives pécuniaires, seraient applicables aux situations où un commerçant enfreint ces nouvelles règles, et certaines dispositions s’appliqueraient même aux relations commerciales entre commerçants. Le but affiché est de donner aux autorités des outils concrets pour sévir contre les plateformes qui ne respecteraient pas les nouvelles obligations.
Pour replacer ces nouveautés dans le droit existant, il faut rappeler que la législation québécoise contenait déjà, depuis plusieurs années, des règles encadrant la revente commerciale (interdiction de revendre plus cher que le prix annoncé par le vendeur autorisé sauf consentement du producteur). Le projet no 10 renforce et modernise ce cadre pour tenir compte des réalités numériques actuelles.
Réactions de l’industrie et des acteurs culturels
La réaction des acteurs culturels a été globalement positive : des organismes comme l’ADISQ ont exprimé un certain soulagement, estimant qu’une meilleure transparence protège à la fois les spectateurs et la chaîne de valeur culturelle (artistes, producteurs, diffuseurs). Du côté des plateformes de revente et de certains opérateurs technologiques, on peut anticiper des réserves portant sur la charge administrative, la définition exacte des obligations et l’impact sur le modèle d’affaires. Certaines entreprises déjà visées par l’Office de la protection du consommateur (OPC) pour pratiques contestées se retrouveront sous la loupe législative si le texte est adopté.
Les Scènes de Musique Alternatives du Québec (SMAQ) ont aussi réagi. Quelques heures après avoir inclus un mot à cet effet lors de leur présentation de prix au GAMIQ dimanche soir, le directeur général des SMAQ, Jon Weisz, a souligné par voie de communiqué que son organisation accueillait « très favorablement le projet de loi 10, qui nous semble en mesure de freiner efficacement les pratiques de revente abusives. Nous espérons qu’il sera adopté. »
Plusieurs membres des SMAQ seraient apparemment régulièrement ciblés par la revente de billets frauduleuse ou spéculative, ce qui a motivé l’association à collaborer aux travaux du ministère de la Justice sur ce dossier.
* Le dg des SMAQ, Jon Weisz. Photo par Camille Gladu-Drouin.
Enjeux et perspectives
Plusieurs questions subsistent et devront être réglées à l’étude du projet au Parlement : comment définir précisément une « plateforme de revente » dans un écosystème technique mouvant (places d’échange P2P, plateformes d’annonces, places intégrées aux réseaux sociaux) ? Quels outils concrets l’OPC et les tribunaux utiliseront-ils pour démontrer la tromperie ou l’absence d’information suffisante ? Comment concilier protection du consommateur, liberté contractuelle des producteurs et praticabilité pour les plateformes légitimes ?
Enfin, l’efficacité du projet dépendra beaucoup de la mise en application et de la capacité des autorités à surveiller les pratiques en ligne. Si le texte est adopté, il pourrait servir de modèle pour d’autres provinces ou inspirer des adaptations, tout en marquant un tournant vers une régulation plus stricte de l’économie des billets à l’ère numérique.
Les consommateurs de billets de spectacles (et d’événements sportifs ou en tout genre) irrités par les effets de l’écosystème de lar revente de billets au Québec devront donc encore patienter encore un peu avant de se réjouir d’un changement concret. Mais c’est de toute évidence un pas dans la direction souhaité par plusieurs.
Ce projet de loi no 10 vise principalement à obliger les plateformes commerciales de revente à une plus grande transparence, signaler qu’il s’agit d’un site de revente, afficher le prix officiel possible ailleurs, interdire certains frais, sans pour autant interdire la revente entre particuliers. Sa portée réelle dépendra de la précision des définitions légales et de la fermeté de son application. On devine que la méga-structure Ticketmaster, notamment, n’aura pas dit son dernier mot…
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