
Othello au Théâtre du Nouveau Monde | « Le monde est une scène »
Le monstre vert de la jalousie rôde au Théâtre du Nouveau Monde ce printemps dans une nouvelle adaptation d’Othello de Shakespeare adaptation signée Jean Marc Dalpé et mise en scène par Didier Lucien, une première pour lui au TNM. J’ai pu y assister le 7 mai dernier.
C’est un défi de taille que le metteur en scène et le traducteur ont décidé de relever en mettant en scène cette tragédie à la fois très connue et complexe de Shakespeare. Comment représenter, en 2025, une pièce aux thèmes à la fois racistes, misogynes et violents et au langage shakespearien créée en 1603? Cette question, Didier Lucien se l’est posée pendant presque trente ans et, dès le début de cet Othello, aboutissement du processus créatif de Lucien, le public comprend que ce défi a été relevé avec brio.
* Photo par Stéphane Bourgeois
En effet, la pièce commence dans une atmosphère cinématographique: la musique avec une dominance de cordes, les éclairages en clair-obscur symboliques des thèmes principaux, le décor unique et imposant constitué d’une structure à deux étages et d’un escalier mobile qui représentera tout à la fois la demeure du sénateur Brabantio au-dessus des rues de Venise, la salle du conseil d’État, la résidence d’Othello en Chypre, les rues de l’île et la chambre à coucher funeste que ce dernier partage avec Desdemona; le tout contribue à l’aspect filmique.
C’est dans cet univers qu’apparait pour la première fois sur scène Iago, caché sous les arcades, dans la demi-pénombre, fidèle à son caractère ambivalent, maitre à la fois de l’ombre et de la lumière, du mensonge et de la vérité. La dissimulation initiale du personnage est peut-être aussi une façon de garder d’abord secret le physique du comédien. Effectivement, Didier Lucien, à la demande des comédiens Rodley Pitt et Lyndz Dantiste, a décidé de présenter un Iago noir. Ce choix apporte une dimension complètement différente qui ramène la pièce à ses thèmes centraux: la trahison et la jalousie. Selon Lucien, Othello n’est pas une pièce raciste, mais une pièce sur la manipulation et la jalousie.
* Photo par Stéphane Bourgeois
Le pari que Didier Lucien et Jean Marc Dalpé s’étaient lancé est également tenu du côté de l’interprétation des personnages. Ainsi, Lyndz Dantiste campe un Iago parfaitement crédible dans son ambivalence en jouant la gamme complète des émotions et en passant de l’une à l’autre avec une facilité étonnante. Seul bémol : le débit parfois rapide du personnage, dont les paroles précèdent souvent les pensées frénétiques et obsessionnelles, mine des fois la compréhension. Rodley Pitt joue avec brio la lente descente dans la folie d’Othello sans tomber dans le mélodrame. Thomas Boudreault-Côté incarne quant à lui un Roderigo niais et naïf à souhait, tandis que Steven Lee Potvin interprète Cassio avec justesse. Quant aux personnages de Desdemona, Emilia et Bianca, interprétés respectivement par Ariane Bellavance-Fafard, Myriam Lenfesty et Mélissa Merlo, ils incarnent admirablement la force et le courage féminins, bien que le jeu de la première comédienne soit un peu décalé et parfois exagéré au niveau de l’expression des émotions. Les costumes des ces personnages renforcent leur féminisme; après un tailleur blanc décoré de broderies dorées, Desdemona arbore un pantalon noir, une chemise montante et des bottes cavalières rappelant l’uniforme militaire masculin, sans toutefois se départir d’un corset emprisonnant. Emilia et Bianca, quant à elles, portent des robes de couleurs chaudes.
* Photo par Stéphane Bourgeois
Les comédiens portent également avec justesse le texte non seulement accessible et efficace, mais également pertinent de Jean Marc Dalpé, qui n’en est pas à sa première traduction de Shakespeare et encore moins au TNM (Hamlet de Marc Béland en 2011). Fidèle à Shakespeare, qui alternait entre plusieurs niveaux de langue en fonction des personnages, de la situation et du public, comme c’est le cas dans Hamlet entre autres, Jean Marc Dalpé n’hésite pas à prendre des éléments langagiers du parler actuel dans ses traductions, où l’on reconnait « sa langue imagée, nerveuse et rythmée » (Programme de la pièce).
L’intégration de performances d’artistes circassiens ajoute du dynamisme au spectacle et illustre les thèmes de l’histoire. En effet, selon Didier Lucien, l’univers d’Othello est « […] déboussolé […] Tous les personnages sont décentrés d’eux-mêmes par la jalousie » (site du TNM). Ainsi, le numéro des artistes suspendus par des harnais aériens marchant sur le décor de manière parallèle au sol illustre la manipulation des personnages par Iago, à la fois marionnettiste et araignée de l’action, qui tire les fils et tisse sa toile. Quant aux chorégraphies des artistes à la corde lisse, elles représentent dans un premier temps la douleur et l’emprisonnement, donc la violence faite aux femmes, puis, dans un second temps, la mort de l’héroïne.
* Photo par Stéphane Bourgeois
La violence monstrueuse de certains personnages et du double féminicide de la scène finale, paroxysme du tragique qui résonne de façon troublante dans notre actualité, est, selon Jean Marc Dalpé, encore nécessaire à notre époque. D’après lui, le monstre qu’est l’Homme rôde toujours parmi nous et « […] de la même façon que nos rêves réparent des blessures profondes parfois insoupçonnées, la tragédie joue un rôle semblable pour notre santé mentale collective » (Programme de la pièce).
- Artiste(s)
- Didier Lucien, Jean Marc Dalpé, Othello
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Théâtre du Nouveau-Monde
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