Notre Bibliothèque – À vos livres au Quat’Sous | Des livres qui brûlent !
Pour trois soirs d’affilée, l’auteur et metteur en scène Christian Lapointe, directeur du Théâtre Blanc de Québec, renoue avec le concept du marathon de lectures. Pendant 12 heures, soit quatre heures ininterrompues par soir, du 24 au 26 janvier 2018, le Théâtre de Quat’Sous résonnera des voix de vingt-quatre lecteurs triés sur le volet. Un happening pour esthètes ou simples amateurs des mots, dans une ambiance décontractée, à picorer au gré de l’humeur, ou à dévorer comme un bon roman.
* Photo d’entête par Valérie Remise.
On se souvient encore de Tout Artaud?! , cette lecture-fleuve des vingt-huit œuvres du grand maître du théâtre français qui avait tenu en haleine pendant pas moins de cent treize heures le public médusé du FTA, pourtant rompu aux exercices de style des créateurs exubérants, au Théâtre La Chapelle en 2015. On se souvient des réactions parfois épidermiques, parfois profondes et bouleversantes, de certains spectateurs, que cette performance hante sûrement encore. Le goût de Christian Lapointe pour ce type particulier de sport extrême, celui qui entraîne joueur et assistance à la limite de leurs capacités physiques et mentales, se confirme, sur un mode plus apaisé. Notre Bibliothèque – À vos livres! affiche une ambition moins démesurée, mais qui trouve son authenticité dans sa collégialité, sur scène comme dans la salle. Cette proposition de lecture, qui n’est pas sans rappeler les Nuits de la Poésie, mais sans la fougue militante – autres temps, autres préoccupations –, s’adresse d’emblée à un public plus familial, féru de livres – il doit obligatoirement se départir d’un des siens pour franchir les portes! – mais aussi divers dans ses goûts que la production littéraire elle-même.
Vingt-quatre artistes d’univers différents (Mathieu Arsenault, François Édouard Bernier, Sarah Berthiaume, Émilie Bibeau, Marie Brassard, Fabien Cloutier, Sébastien David, Evelyne de la Chenelière, Myriam de Verger, Sophie Desmarais, Frédéric Dubois, Alain Farah, Marie-Thérèse Fortin, Maude Guérin, Catherine Lalonde, Ève Landry, Antoine Laprise, Justin Laramée, Didier Lucien, Olivier Morin, Stanley Péan, Marcel Pomerlo, Elkahna et Inès Talbi) se relaient sur la scène intime du Quat’Sous, transformée pour la cause en un mélange improbable de salon au coin du feu et de temple sacré de la littérature. Des dizaines et des dizaines de livres, empilés en un immense tas à l’avant de la scène, attendent comme avant l’autodafé le sacrifice purificateur au dieu de la lecture. Les officiants entrent chacun à leur tour, pour une petite cérémonie personnelle d’une demi-heure, interrompue par une lumière rouge clignotante et un crépitement de flammes, afin de rappeler au dévot trop zélé que le temps se consume à vive allure et qu’il doit transmettre la flamme de son inspiration à la prochaine vestale (homme ou femme. Notons que la distribution respecte la parité avec une scrupuleuse religion).
Le rituel commence par le choix du livre, où les différentes personnalités de lecteurs se révèlent: beaucoup de théâtre, bien évidemment, mais aussi de la poésie, des romans de gare, du Nouveau Roman, de la littérature érotique à saveur corsée… Qu’ils contournent prudemment l’impressionnant monticule, ou qu’ils plongent dedans des deux mains et des deux pieds, comme un pêcheur dans la rivière pour tirer un beau spécimen frétillant, déjà, un style se dessine, que viennent nuancer leur précaution à déposer, sur le pupitre, leurs trouvailles, ou leur empressement à les balancer au pied du micro, dans la hâte et le délice de s’enfoncer toujours plus profond dans le courant des pages.
Mais c’est dans la lecture elle-même, subtilement accompagnée par la musique live de Stéphane Caron et de Frédérick Desroches, que les personnages se campent, en complicité amusée avec le band et le public, et avec plus ou moins de bonheur. Peu importe, au fond, que la performance soit un succès. Bon ou mauvais choix d’ouvrage, ton jacassant ou voix irritante, aisance à lire ou peu d’intérêt personnel pour le sujet, trop de paramètres aléatoires la déterminent. À chaque nouveau lecteur, un nouveau contrat est scellé: il accepte le risque de l’ouvrage inconnu, qu’il ouvre souvent pour la première fois, et se lance avec conviction ou avidité dans son déchiffrement. Le spectateur, quant à lui, est plus libre de circuler, de commenter à haute voix, voire de partir en plein milieu, s’il en a entendu assez, ou si un rendez-vous galant le presse.
C’est bien ce qui rend cette expérience unique: c’est de pouvoir prendre le temps, délibérément, sans contrainte, de les regarder lire, réagir, s’émouvoir, s’estomaquer, se récrier, chacun à sa manière. C’est de prendre conscience que chacun de nous, nous sommes un exégète particulier du parchemin du monde. C’est de se laisser happer par une anecdote, un ton de voix suave, une présence magnétique… C’est de se surprendre à penser, au tournant d’une page, qu’on resterait bien là, devant le feu, à écouter des histoires, et rêver, pleurer, s’émerveiller, s’enflammer…
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