Moby

Moby n’a plus de carrière (et ça fait bien son affaire)

Quand on a appris que Moby lançait un nouvel album, on s’est dit que ça faisait un petit bout de temps qu’il se faisait discret. Curieux de savoir où il en était dans sa vie, et son cheminement artistique – qui, avouons-le, est passé par mille-et-un détours depuis le début des années 1990 – Sors-tu.ca a accepté avec plaisir l’invitation à converser avec le producteur, DJ et musicien américain, au bout du fil en direct de Los Angeles.

La grande question, c’est : pourquoi un homme de 51 ans, qui n’a aucunement l’intention de partir en tournée, aurait avantage à lancer un nouvel album à une époque où plus personne n’achète d’albums ?

C’est effectivement une grande question. Et pourtant, Moby lançait, la semaine dernière, Moby & The Void Pacific Choir. Un onzième… euh, peut-être douzième album ?  « Probablement vingtième. Ça dépend comment on compte. J’ai lancé plein d’albums sous de faux noms en début de carrière, et plusieurs collections de chansons qui peuvent être vues comme des albums ou pas. Bref, je suis un vieil homme qui a fait tout plein d’albums, tous plus divers et weird les uns que les autres ! »

Pour en revenir à la « grande question », Moby s’explique sur un ton calme que seul un homme serein peut adopter : « j’ai grandi en adorant les albums. J’aime ce format. Et en tant que musicien, j’aime me retrouver en studio. Il y a quelque chose de libérateur à faire de la musique quand tu te fous de ce qu’il adviendra une fois qu’il sera sorti. »

Il faut le dire : Moby est désormais davantage un artiste activiste qu’une star de l’industrie musicale comme il le fut jadis. Comme par exemple à l’époque de Play, au tournant du nouveau millénaire. Il en a vendu 12 millions. L’argent rentrait et partir en tournée était une évidence pour faire tourner la roue et nourrir sa carrière. « Je ne considère plus que j’ai une carrière. Je ne vois plus les choses comme ça. Et c’est très bien ainsi. »

 

L’âge d’or de l’industrie musicale

Nous vivons un âge d’or de la musique, et de l’industrie de la musique à mon avis. Sauf si on ne considère que l’aspect financier de la chose. C’est la seule chose qui cloche en ce moment. Tout le reste est en parfaite santé.

C’est le genre de propos qui risquerait d’offusquer les nombreux artistes émergents qui tirent le diable par la queue, ne vendent presque pas d’albums et récoltent des miettes des services d’écoutes en ligne. Moby en est bien conscient, et il se dit très empathique envers ceux-ci. Mais le constat demeure : la musique est à son meilleure. « Je ne peux parler que de mon expérience. Et je suis bien conscient que c’est mon plus grand privilège: je peux travailler sur ce qui me plaît et me foutre de faire de l’argent ou pas. »

De son point de vue, donc, « si on mesure la valeur de l’industrie de la musique sur des critères de créativité et d’honnêteté, tout va pour le mieux. Ceux qui se plaignent du changement de paradigme ne comprennent pas que ça ne changera rien au changement de paradigme. Quand le statu quo change, tu peux l’accepter et t’adapter, ou te plaindre en vain. Je n’ai aucunement envie de me joindre à ceux qui se plaignent. »

« Regarde, par exemple, dans les années 1990, quand la business rapportait beaucoup, cette époque nous donnait des produits comme Limp Bizkit et les Backstreet Boys. De nos jours, le système actuel produit plutôt des James Blake. J’aime beaucoup mieux une époque appauvrie qui nous donne  des James Blake. »

Une façon d’aborder les enjeux sociaux

On ne peut pas dire que Moby fait de la musique pour l’argent. Ça, c’est évident. En même temps, avoir vendu 20 millions d’albums dans la belle époque prospère, ça aide à se libérer des préoccupations pécuniaires.

Alors qu’est-ce qui motive Moby, outre son amour du studio ?  Il suffit d’écouter ne serait-ce qu’une minute de Moby & The Void Pacific Choir pour comprendre que c’est pour lui une façon d’aborder des thématiques politiques ou des préoccupations sociales, sans tomber dans un ton moribond ou moralisateur. Au contraire, son album est plutôt upbeat, empruntant à la techno, au post-punk et au rock relevé. « Il n’était pas question que ce soit insipide ou banal. Je souhaitais aborder des thèmes qui me préoccupent mais en faire quelque chose d’honnête et d’accessible. »

« Quand j’étais jeune, j’étais fasciné par la chanson politiquement engagée. Comme John Fogerty, Neil Young, Chuck D. ou Joe Strummer. Tu peux l’approcher de façon très directe, presque journalistique, comme la chanson Ohio de Neil Young, ou encore, y aller de façon plus subtile, comme Who’ll Stop the Rain de Fogerty. Je n’avais jamais vraiment exploité cela dans mes albums. L’écriture de paroles n’a jamais été ma grande force, je crois que j’ai peut-être été un peu paresseux à ce niveau. Mais je sentais que le temps était bien choisi de le faire. »

Moby & The Void Pacific Choir aborde des sujets variés, tous liés aux nombreux échecs de nos systèmes contemporains, tant sur les plans environnemental, politique, alimentaire, culturel et social.

En ce sens, le nouvel album est peut-être son plus punk, ce qui peut surprendre de la part d’un homme de 51 ans. « Quand on est jeune, on prend un peu pour acquis que les gens qui mènent le monde savent ce qu’ils font, qu’ils maintiennent ultimement des systèmes qui sont bons pour nous au final. Mais en vieillissant, tu te rends vraiment compte que c’est rarement le cas. Les gens en position de pouvoir sont plus souvent qu’autrement imbus de pouvoir, egoïstes ou inefficaces. Nous en sommes de plus en plus conscients, et il est primordial que nous trouvions des façons d’en parler, de l’aborder, de le constater. Je n’ai pas de solution, mais j’essaie simplement de communiquer ces idées de façon honnête et ouverte. »

Son nouveau vidéoclip, pour la chanson Are You Lost in the World Like Me ?, est assez représentatif du ton de l’album.

Plus de détails au sujet de l’album par ici : http://moby.la/mvpcthesesystemsarefailingYo

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