Maurice

Maurice au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui | La survie heureuse

À l’âge de 33 ans, Maurice Dancause, brillant économiste ayant côtoyé René Lévesque et Jacques Parizeau, est victime d’un accident vasculaire cérébral. Sa vie a alors basculé du tout au tout. Il a dû tout réapprendre et reste avec une grande séquelle, l’aphasie, lésion cérébrale qui crée un délai et des blocages langagiers, bien que la compréhension soit intacte. Malgré ce traumatisme, Maurice affirme qu’il ne retournerait jamais à avant son accident, car il préfère de loin l’homme qu’il est maintenant : plus sensible, plus connecté au cœur. Touchée par cette histoire, l’autrice et comédienne Anne-Marie Olivier a décidé de mettre la lumière sur l’histoire de Maurice, en mettant en scène ce spectacle plus vrai que nature.

Ce que je m’apprête à écrire n’est pas une critique ordinaire, car Maurice n’est pas un spectacle ordinaire. Il constitue un risque dramaturgique en soi, une expérience live courageuse et insensée. Mais peut-être aussi que ça guérit un peu.

En entrant dans la petite salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui, je m’installe avec mon amie aux places qui sont souvent attitrées aux médias, c’est-à-dire en première rangée. Je n’apprécie pas particulièrement, surtout dans les salles intimes, car j’ai l’impression d’être dans les jambes des interprètes et je m’y retrouve alors toujours un peu intimidée justement. Maurice arrive en scène, interprété par Anne-Marie Olivier, et s’installe à la petite table encadrée de deux chaises. En silence, il épluche une orange à une main. On patiente. On est avec lui. C’est long éplucher une orange à une main. Puis il la savoure pendant ce qui paraît d’interminables minutes.


* Photo par Émilie Dumais

Puis il se lève, se présente, et on constate le trouble du langage que crée l’aphasie dont souffre Maurice. Bien qu’il prononce un mot sur dix, il arrive, après quelques échanges avec le public, à nous faire comprendre que quelqu’un devra venir s’asseoir avec lui à sa table. Et évidemment, assise en plein milieu en avant, il me désigne et m’invite à venir jaser. Au départ, je me dis : c’est bon, ça va durer 10 minutes et il va me renvoyer à ma place. C’est là où je me suis trompée. Je suis restée sur scène à jaser durant une petite heure. Je peux donc seulement vous raconter le point de vue du cobaye de l’expérimentation théâtrale d’Anne-Marie Olivier.


* Photo par Émilie Dumais

Il me posait des questions sur ma vie personnelle, puis m’invitait à lui poser des questions, en communiquant en simagrées, mots-clés et jeux de devinettes. Tout ça dans l’improvisation la plus totale. Quelques moments clés étaient mis en scène pour provoquer des échanges comiques et faire avancer la tension dramatique. Tout au long, je sentais que les gens se disaient : « Ça pourrait être moi assis là » et ça les rendait encore plus curieux. Comme si le fait que j’étais sur le hot seat faisait que le public avait de l’empathie autant pour moi que pour le « malade ». Comme si ça redonnait à la victime le contrôle de son narratif. On a souvent une attitude de pitié quand on rencontre quelqu’un dans cette situation ou avec une paralysie, et on n’arrive pas à briser le malaise. L’expérience d’Anne-Marie Olivier dépasse ce malaise et provoque la rencontre, avec une résilience incarnée et décomplexée. Elle incarne avec tellement de justesse le personnage et maîtrise tellement les détails de l’histoire de Maurice qu’elle se l’approprie entièrement. Elle est touchante de vérité et chaque soirée devient un spectacle complètement différent, selon le cobaye sélectionné.


* Photo par Émilie Dumais

À la fin de la représentation, les gens m’arrêtaient pour me parler, et plusieurs croyaient que tout était arrangé. Je confirme qu’il n’en est rien. Je n’avais pas du tout prévu me retrouver sur scène hier. Et je n’avais pas du tout prévu être transformée par cet échange spontané. Discuter avec quelqu’un qui a tant encore à dire, mais qui n’intéresse plus personne à cause de ses limitations est une expérience que je souhaite à tous. Ça remet beaucoup de choses en perspective, et ça nous renvoie aux limitations de notre propre ego. Chapeau à Anne-Marie Olivier pour l’audace, la pertinence et la grande générosité.

À vivre au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, du 30 octobre au 14 novembre 2024.

Texte et interprétation : Anne-Marie Olivier
Mise en scène : Olivier Arteau

À partir d’entretiens avec Maurice Dancause.

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