crédit photo: Yanick Macdonald
Ma vie rouge Kubrick

Ma vie rouge Kubrick au Théâtre Denise-Pelletier | Exploration scénique d’une œuvre littéraire inclassable

Le directeur artistique de la compagnie Les 2 Mondes, Éric Jean, a adapté et mis en scène Ma vie rouge Kubrick, œuvre du regretté Simon Roy. À mi-chemin entre le roman et l’essai, l’œuvre de Roy explore ses traumatismes familiaux macabres à travers une analyse du film L’enfant lumière (Shining, 1980) réalisé par Stanley Kubrick et lui-même adapté du roman éponyme de Stephen King.

Lauréat du Prix des libraires du Québec en 2015, les critiques ont dit du récit à sa sortie qu’il est à la fois hypnotique et inclassable. Le sujet est effectivement assez unique : dans ce livre, Roy interroge le pouvoir de transformation qu’une œuvre d’art peut exercer sur nos vies, tout en tissant un lien entre Shining et sa propre histoire familiale marquée par le deuil et la violence, créant ainsi une forme d’exorcisme littéraire.

Malgré les éloges des critiques, qui parlent d’un livre « à dévorer », on a choisi de découvrir l’univers de Roy par l’adaptation théâtrale, préservant ainsi la surprise et l’impact de cette œuvre dite « inclassable ».


* Photo par Yanick Macdonald

Une courtepointe de vignettes qui ensevelit

Malgré le souhait de préserver la surprise quant à l’œuvre de Roy, on a jugé nécessaire de revoir le film de Kubrick, que nous n’avions pas vu depuis près de 30 ans, afin d’être à même de bien saisir la dimension cinématographique de l’analyse. Et heureusement.

À la sortie de la pièce, la principale question que nous avions en tête était la suivante : « À qui s’adresse cette adaptation théâtrale ? » Résolument aux personnes qui ont récemment vu l’œuvre de Kubrick. Sans avoir en tête le récit, les citations et les scènes du film, l’œuvre théâtrale serait restée opaque. Bien que quelques images du film soient projetées en arrière-plan pour soutenir le texte, les références visuelles et narratives auraient paru cryptiques si nous n’avions pas eu un souvenir frais du film.


* Photo par Yanick Macdonald

Mais est-ce que l’œuvre théâtrale visait à faire découvrir le roman-essai de Roy à un public plus large en explorant un nouveau médium, ou avait-elle pour but de lui donner une seconde vie, permettant ainsi à ceux et celles qui avaient déjà apprécié l’œuvre de Roy de la redécouvrir sous une autre forme ?

Pour ceux et celles qui souhaitaient découvrir l’univers de Roy, cette adaptation de 70 minutes donnait l’impression d’ouvrir une armoire remplie à craquer de trésors : à peine la porte ouverte, les idées qui en émergent nous ensevelissent. La pièce aborde de nombreux thèmes captivants, mais le format et la durée ne permettent pas de les approfondir pleinement. Dans une œuvre littéraire, on peut savourer la succession de vignettes et d’idées, prenant le temps d’absorber chaque concept, en interrompant la lecture. En revanche, dans une pièce de théâtre, le spectateur est captif du rythme imposé, ici, un rythme effréné d’enchaînement d’idées.

La pièce traite d’un trop grand nombre de thématiques, dont chacune aurait mérité davantage de développement : une analyse cinématographique suggérant que Kubrick souffrait d’un trouble obsessionnel compulsif ; un parallèle saisissant entre la vie de Roy et le récit de Stephen King ; l’influence possible du roman Rage de King sur certaines tueries dans les écoles américaines ; le cycle interminable des calamités familiales se répétant de génération en génération ; l’extraordinaire intuition de Roy, capable d’anticiper des événements ; la violence qui naît du mariage entre solitude et nihilisme ; les contradictions de King concernant ses positions sur les armes à feu ; la double conscience et le rapport particulier des jumeaux face à la vie et à la mort, pour ne nommer que ceux-là.

Chacun de ces thèmes aurait mérité une attention plus soutenue. Dans la pièce, Simon Roy, interprété par le comédien Mickaël Gouin, déclare : « Contrairement à ma mère, je ne dois jamais perdre de vue le fil d’Ariane. » Pourtant, c’est précisément une critique que l’on pourrait adresser à l’adaptation de l’œuvre littéraire : l’absence d’un véritable fil conducteur. Une sélection plus ciblée des thématiques à aborder aurait permis d’enrichir la profondeur des idées présentées et de favoriser une plus grande appréciation de l’œuvre.


* Photo par Yanick Macdonald

Une mise en scène simple mais habile

Bien que nous restions convaincus que des choix, probablement déchirants, auraient dû être faits dans l’adaptation du roman-essai, l’œuvre théâtrale est loin d’être dépourvue d’intérêt.

Dans cette autofiction explorant une « généalogie macabre », Mickaël Gouin incarne un Simon Roy à la recherche de lumière au sein d’un labyrinthe familial où un cycle de violence semble s’être installé. La veille du décès de sa mère, il trouve un certain réconfort en se remémorant les moments heureux passés avec elle, ainsi que l’influence qu’elle a exercée sur sa vie et sa façon de penser. Bien que le langage et l’élocution de Gouin confèrent à l’œuvre une dimension solennelle appropriée pour un essai, un registre plus proche de la langue parlée aurait pu réduire la distance entre l’histoire personnelle de Roy et le public : malgré la gravité de son drame, il était difficile de ressentir de l’empathie.

Quant à Marc-Antoine Sinibaldi, il enrichit habilement le récit de multiples manières, tantôt en tant que conscience de Simon Roy, tantôt en incarnant sa mère, ou même en interprétant des personnages des romans de Stephen King qui interagissent avec Roy. Sinibaldi se révèle tantôt un corps, tantôt une pensée, et les transitions entre une et l’autre forme sont convaincantes.


* Photo par Yanick Macdonald

La chorégraphie des mouvements des acteurs sur scène est habile, et les projections du film sont judicieusement utilisées, bien qu’elles auraient pu être plus nombreuses pour renforcer les parallèles entre l’histoire racontée et l’œuvre de Kubrick.

Au final, malgré ses imperfections, Ma vie rouge Kubrick est une œuvre qui mérite d’être découverte.

Ma vie rouge Kubrick est présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 16 novembre. Pour acheter des billets, c’est par ici. On recommande fortement de revisiter l’œuvre de Kubrick avant de voir la pièce.

Ma vie rouge Kubrick

Texte : Simon Roy
Adaptation et mise en scène : Eric Jean
Production: Les 2 Mondes
Avec: Mickaël Gouin et Marc-Antoine Sinibaldi

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