Love U Lovecraft à La Chapelle | Un Lovecraft hors-tension

Le petit, mais combien essentiel, Théâtre La Chapelle – Scènes contemporaines, présente ces jours-ci et jusqu’au 2 avril une création de la compagnie bilingue The Other Theatre inspirée de la nouvelle The Colour Out of Space de Howard Phillips Lovecraft, rebaptisée ici sur une note plus moderne par Love U Lovecraft.

Photo par Maxime Côté

Photo par Maxime Côté

Le décor, signé Amy Keith, est saisissant à prime abord. Trois murs gris poussiéreux, éraflés et défoncés avec violence à maints endroits, avec deux embrasures latérales mais sans portes. Des guenilles, grises aussi, longent le bas des murs. On se croirait au lendemain d’une guerre nucléaire, tellement la peinture scénique de Mel McSpurren procure un effet apocalyptique.

Un homme au comportement erratique fait son entrée, couvert de ce qui ressemble à de la cendre volcanique, y compris sur le visage et sur son crâne parfait. Le comédien Marc-André Goulet a tout à fait le physique de l’emploi, mais sa voix douce et posée neutralise l’effet de peur panique que son personnage est sensé provoquer devant l’inconnu où nous sommes.

Ce narrateur sans nom retracera l’histoire d’un lieu perdu dans les collines sauvages près d’Arkham au Massachussetts où une météorite se serait écrasée, empoisonnant l’eau, déformant les plantes et les animaux, et rendant les gens fous avant de mourir un à un. La menace de l’eau qui monte de plus en plus près de la ferme de la famille Gardner, avec la frayeur de ses chevaux qui piaffent sans raison apparente, les portes imaginaires de couleur rouge, bleue ou verte, et les cris de détresse «Dis-moi ce que tu vois!», sont faiblement rendus.

La pièce ne commence vraiment qu’avec l’arrivée en scène d’Anana Rydvald, et vaut le déplacement juste pour faire sa découverte. Elle est la seule de cette distribution de cinq comédiens à être complètement habitée par son personnage dont pourtant, on ne sait pas grand-chose. Elle fait montre dans son jeu d’une profondeur abyssale et d’une intensité viscérale qui manquent cruellement aux autres. La metteure en scène Stacey Christodoulo, qui est aussi directrice artistique de la compagnie et qui en a signé toutes les productions, a manqué d’uniformité dans le rendu de sa direction d’acteurs.

Photo par Maxime Côté.

Photo par Maxime Côté.

Née en Suède, mais ayant grandi au Danemark avant de se téléporter à Montréal à l’âge de 12 ans, Anana Rydvald a d’abord étudié avec Les Grands Ballets, ce qui explique qu’elle soit autant en contrôle de son corps comme véhicule dramatique. Elle a aussi été professeur de mime et d’improvisation au Collège John Abbott. Son jeu, sa voix limpide qui flirte avec la crise nerveuse et la fatalité de gestes irréfléchis, nous renvoie au monde paranormal et peu rassurant de l’auteur d’une soixantaine d’écrits précurseurs de la science-fiction recensés dans Le mythe de Cthulhu.

Car en maître précoce du suspense, qui dévorait les récits d’Edgar Allan Poe, Lovecraft a été une source d’inspiration autant pour Peter Straub et Stephen King que pour Neil Gaiman. Ses histoires ont aussi inspiré de nombreux films, à commencer par Alien de Ridley Scott. Stephen King a d’ailleurs déclaré à un moment donné que Lovecraft est sans conteste «le plus grand auteur de récits d’horreur du vingtième siècle».

Lovecraft, qui a vécu de 1890 à 1937, est mort dans la pauvreté à Providence au Rhode Island où il était né. Lui qui a souvent été malade et chétif dans son enfance, ce qui le privait d’école mais pour mieux dévorer les livres et se fasciner pour l’astronomie, lisait et écrivait la nuit, ne dormant que le jour venu.

On ne retrouve pas, et c’est dommage, ce climat d’univers parallèles cauchemardesque, cet intangible dérangeant et obsessif de l’œuvre du maître dans la pièce Love U Lovecraft.

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