L’Orangeraie au Théâtre Denise-Pelletier | Mi-figue mi-raisin
Larry Tremblay a déjà dit que lorsqu’il commence l’écriture d’une œuvre, il ne sait pas encore si ce sera de la poésie, du théâtre ou du roman, considérant les premières pages comme une scène de crime où il s’emploie ensuite à faire enquête pour en arriver à ce que les personnages se révèlent d’eux-mêmes.
L’orangeraie, dont c’était la première au Théâtre Denise-Pelletier jeudi soir, est d’abord un roman, mais tellement proche du théâtre que l’auteur a choisi de s’adapter lui-même pour la scène, confiant ensuite, – pour une cinquième collaboration sur 20 ans – , au metteur en scène Claude Poissant le soin de faire le reste pour que s’illumine le théâtre.
L’histoire relève du noeud gordien. Amed et Aziz sont des jumeaux de neuf ans vivant paisiblement dans une orangeraie arrachée au désert. Soudain, une bombe tombe sur la maison de leurs grands-parents paternels et les tuent. Dans ce pays qui n’est pas nommé, en guerre avec ceux appelés les chiens ennemis de l’autre côté de la montagne, cet outrage ne peut pas rester impuni. Encouragé par un seigneur de guerre, le père des jumeaux devra décider lequel de ses deux fils il va sacrifier pour se venger, en l’envoyant, avec une ceinture d’explosifs fixée à son ventre, se faire exploser dans un campement militaire des positions ennemies. Donc, selon cette logique guerrière, mais beaucoup religieuse aussi, celui des deux qui mourra connaîtra le bonheur décidé par Dieu de mourir martyre.
Gabriel Cloutier-Tremblay et Sébastien Tessier, qui ont été choisis à l’issue d’un long processus d’auditions, forment ce couple de jumeaux dont l’enfance sera volée par la guerre des adultes qui les a endoctrinés dès leur bas âge et leur a transmis la haine et la vengeance comme des valeurs morales conformes à ce que Dieu attend d’eux.
Les deux jeunes comédiens, qui ont 28 ans en vrai, s’acquittent avec une belle complicité de leur rôle qui n’est pas à l’abri des écueils. Mais, on sent dès le début de la pièce que le metteur en scène a su éviter ces écueils de la gémellité, de sorte que la direction d’acteurs de Claude Poissant, dans cette première partie du moins, est irréprochable. Il est touchant de voir les deux garçons se tenir la main, quand ce n’est pas à réunir leurs pieds nus, assis par terre.
Les rôles secondaires sont bien défendus, en particulier par Daniel Parent en Zahed, le père déchiré par le choix de celui de ses fils qu’il devra sacrifier, et Soulayed, le seigneur de guerre de Jean-Moïse Martin, armé d’une mitraillette comme d’un banal accessoire auquel tous sont habitués. Éva Daigle en Tamara, la mère arabe, est tout aussi crédible.
Sans trop dévoiler l’intrigue, disons que les jumeaux useront d’un habile subterfuge pour que ce soit le frère malade des os qui aille se sacrifier, et ce contre la volonté du père qui ne veut pas déplaire à Dieu en lui offrant pour martyre un enfant déjà condamné.
Là où ça se gâte, c’est la rupture de ton et la transition abrupte faisant que l’on retrouve, dix ans plus tard en Amérique, celui des jumeaux réchappé. Dans la première scène de cette deuxième pièce en une, le jumeau est assis sur un banc de parc, en plein hiver, et converse avec son professeur, à moins que ce ne soit l’auteur, ou encore le metteur en scène d’une pièce que le jumeau, maintenant étudiant dans une école de théâtre, est appelé à jouer. Le rôle est si proche de son passé de fous de Dieu que le jumeau n’y arrive tout simplement pas.
Vincent-Guillaume Otis, dans le rôle du professeur, est carrément hors-jeu. Son ton monocorde, sa présence non convaincante au service du récit, sa démarche lourde, son manque de nuance dans sa compassion obligée, font qu’on ne se sent plus du tout dans la même pièce. Et le procédé, archi-usé, du théâtre dans le théâtre, ne lève pas.
Néanmoins, il y a des scènes avec une certaine force dramatique dans cette deuxième partie qui sauvent la pièce. Peut-être aurait-il mieux valu faire un entracte entre les deux parties? Enfin, il faut ajouter que le décor, sobre et dépouillé, de Michel Gauthier et l’environnement sonore de Philippe Brault contribuent aussi à sauver la mise.
Mais, ce qui est remarquable, sans aucune hésitation, dans L’orangeraie, c’est la beauté du texte dramatique de Larry Tremblay, fabulé et poétique, lyrique, imagé et musical. On ne s’étonne pas que le roman, paru en 2013, ait reçu plusieurs prix. Au fil de ses 40 ans d’écriture, qu’on pense seulement au génial Dragonfly of Chicoutimi, Larry Tremblay a créé un corpus littéraire très personnel, en d’autres mots, une œuvre qui compte. D’ailleurs, il est avec Michel Marc Bouchard, l’un de nos auteurs dramatiques les plus traduits et joués à l’étranger.
- Artiste(s)
- L'orangeraie
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Théâtre Denise-Pelletier
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