L'Idiot

L’Idiot de Dostoïevski au TNM | Formidablement réussi !

Il aura fallu à Étienne Lepage une énorme dose de courage pour adapter au théâtre L’Idiot de Fiodor Dostoïevski, un roman titanesque de quelque 1 000 pages écrit par le grand écrivain russe au 19e siècle. Cela lui aura pris deux ans de travail acharné pour y arriver, et voilà que le résultat force l’admiration. Si bien que la production au Théâtre du Nouveau Monde, magnifiquement mise en scène par Catherine Vidal qui a collaboré de près au texte, s’inscrit d’ores et déjà parmi les œuvres les plus mémorables jamais présentées dans toute l’histoire de ce grand théâtre.


Ni comédie, ni drame, ni tragédie, mais un peu de tout à la fois, entre lumière et ténèbres, entre bonté et orgueil, on pourrait reprocher au texte du tandem Étienne Lepage et Catherine Vidal, adapté en langue vernaculaire québécoise, de trop prendre ses distances par rapport à l’âme russe au cœur même de l’œuvre.

Mais, c’est pour mieux s’ouvrir à un public plus large et dépasser les intentions de l’auteur d’origine, tellement ancré dans la société russe de son époque. Ainsi modernisé, le texte vient sonder davantage les profondeurs de l’âme humaine au sens large, et il le fait en s’appuyant sur le caractère d’oralité souvent présent, comme le souffle littéraire du prototype russe parlé chez Dostoïevski.

Des 40 personnages du roman, les auteurs les ont ramenés à douze comédiens, évoluant sur scène dans un lieu non défini qui n’est pas Saint-Pétersbourg. L’Idiot, comme nous le présente le TNM, c’est pour l’essentiel une histoire de rectangle amoureux qui repose sur le personnage-titre, le jeune prince Mychkine revenant de Suisse où il a soigné son épilepsie pendant quatre ans, sur son double noir, Parfione Rogojine, un bum de bonne famille aux cheveux gras et maniant le couteau, Nastassia Filippovna, femme de la haute société idéalisée, et Lizaveta, sa rivale.

Le prince Mychkine, sans autre fortune que son titre de noblesse, dont la bonté légendaire le fait passer pour idiot aux yeux des autres imbus de pouvoir, est incarné ici par Renaud Lacelle-Bourdon avec une bonhommie et une justesse absolument désarmantes. Le comédien provoque un coup de foudre instantané chez le public. Il a le physique de l’emploi, avec son charme ravageur au naturel qui lui attire les faveurs de tout un chacun, et sa longue chevelure blondasse qui le rend à part des autres.

Parfione, dont les réelles intentions ne sont jamais claires, est défendu par Francis Ducharme qui excelle dans ce type de personnages ambigus, mi ange mi démon. Alors qu’Évelyne Brochu, elle, incarne la très belle Nastassia, angélique, statuesque, somptueuse, mais en constant déficit d’estime de soi. Quand elle s’avance, altière et ainsi magnifiée, on ne voit plus qu’elle.

Dans les rôles secondaires, des gros noms comme Paul Ahmarani, Henri Chassé, Macha Limonchik et Paul Savoie apportent chacun sa pierre à l’édifice avec panache et surtout couleurs vives. Car le spectacle est outrancièrement multicolore grâce à la folle audace des costumes conçus par Elen Ewing. Même la canne sur laquelle s’appuie le prince Totski est d’un jaune vif, alors que le prince Mychkine, dans toute la première partie, déambule en culottes courtes.

Et que ce soit pour les personnages d’Évelyne Brochu ou de Macha Limonchik, le travail remarquable d’Elen Ewing trouve son prolongement dans les maquillages et les coiffures d’Angelo Barsetti qui a conçu des couronnements transfigurant ces femmes jusqu’à un éblouissement rarement atteint au théâtre.

La mécanique de la fatalité, les mystères insondables de l’humain, ses passions et ses pulsions incontrôlables, l’instinct belliqueux primaire, l’envie, l’hypocrisie sociale, le pouvoir de l’argent, la corruption et l’attirance pour le chaos feront le reste pour que tout roule comme sur des roulettes. Dans sa globalité, la pièce affiche une qualité procurant de délectables moments d’éternité.

Qu’on se le dise : cette production de L’Idiot au TNM, la première en ses 67 ans d’histoire, frappe fort.

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