Les Violons du Roy

Les Violons du Roy | Karina Gauvin et Marie-Nicole Lemieux réunies pour un concert

Deux des plus belles et riches voix du Québec, la soprano Karina Gauvin et la contralto Marie-Nicole Lemieux, étaient réunies samedi soir à la Maison symphonique, pour un long concert de plus de trois heures dirigé par Bernard Labadie avec ses Violons du Roy. Le réputé chef d’orchestre, qui semble rétabli même s’il dirige encore assis, offrait aux mélomanes l’intégrale de la Passion selon saint Matthieu (BWV 244) de Johann Sebastian Bach.

Gauvin, avec sa robe de couleur aubergine et ses cheveux blonds, et Lemieux dans une élégante robe noire et les cheveux rouges feu, non seulement étaient assises côte à côte à gauche de l’orchestre, mais elles ont offert ce rare grand bonheur de les entendre chanter ensemble.

La Passion, telle qu’on la joue maintenant, est l’aboutissement d’une longue tradition remontant au Moyen-Âge, alors qu’on récitait durant la Semaine sainte des extraits des quatre évangiles. Psalmodiée en latin au début du Christianisme, la Passion ne fut dramatisée qu’au Xe siècle. Une petite ville de Bavière en Allemagne, Oberammergau, perpétue d’ailleurs depuis 1634 ce spectacle médiéval, ce qui ne manque pas d’attirer les connaisseurs, qu’ils soient croyants ou impies. La musique de Bach transcende le sentiment religieux ou son absence.

Bach a composé sa Passion selon saint Matthieu en 1727, peu de temps après sa Passion selon saint Jean, et juste avant sa Passion selon saint Marc dont, fort malheureusement, la partition a été perdue.

L’œuvre exige deux chœurs et deux ensembles instrumentaux. Ainsi, au chœur de la Chapelle de Québec, fondé par Labadie, s’est ajouté, tous vêtus de rouge, la Chorale des jeunes du Conservatoire de McGill. Fait rare, les premiers violons du premier ensemble sont composés de deux femmes et un homme, et les seconds violons de trois femmes. S’ajoutent deux altos, le violoncelle, la viole de gambe, la contrebasse, deux flûtes à bec, deux flûtes, un hautbois, un cor anglais et un hautbois d’amour, le basson (Mathieu Lussier qui fait partie des chefs réguliers à diriger les Violons du Roy) et enfin, l’orgue.

Pour compléter le tableau des présences sur scène, figurent le ténor britannique David Webb, le baryton-basse britannique Andrew Foster-Williams (qui a chanté le rôle-titre de Henry VIII de Saint-Saëns), et le second baryton-basse, britannique aussi, Neal Davies. David Webb s’est d’ailleurs retrouvé à devoir chanter le rôle de l’autre ténor anglais prévu au programme, John Mark Ainsley, absent pour des raisons de santé. Malheureusement, la prestation de Webb est apparue comme manquant de tonus et d’envergure, à comparer avec la puissance et la solidité vocale des autres chanteurs.

Le livret, comme on dirait à l’opéra, fut chanté en allemand. Fait surprenant, Marie-Nicole Lemieux chantait en allemand par cœur, regardant très peu souvent ses textes en main. Le débit et la fluidité de sa voix, son assurance aussi, ont fourni quelques moments de pur bonheur. Elle a l’aura qui appartient aux plus grandes. Si à ses débuts on la retrouvait surtout en musique baroque, l’évolution de sa voix fait maintenant qu’elle peut aborder tout le répertoire français du XIXe siècle. Elle, qui est née à Dolbeau-Mistassini, est d’ailleurs invitée régulièrement à chanter avec les orchestres les plus prestigieux, comme le New York Philharmonic, l’Orchestre National de France ou encore le Deutsches Symphonie-Orchester de Berlin.

On oublie trop souvent à quel point nos talents en art lyrique nous font honneur à travers le monde. C’est aussi le cas de Karina Gauvin, née à Repentigny, dont la voix divine de soprano la destine autant aux œuvres de Mahler ou de Britten, qu’à la musique du XXe siècle. Elle a reçu plusieurs distinctions de marque, elle s’est produite avec les plus grands orchestres symphoniques du monde, elle a été dirigée par les plus prestigieux chefs d’orchestre, y compris les Dutoit, Nézet-Séguin et Nagano, et elle a donné des récitals avec des stars du piano tels que Marc-André Hamelin et Angela Hewitt. Ses disques enfin, soit une trentaine de titres, lui ont valu de nombreux prix importants.

Alors, quand les cinq voix de ce concert ont été réunies aux musiciens et aux deux choeurs, même par petits bouts, et même si cette œuvre de Bach connaît peu de spectaculaire, le grandiose de la soirée à la Maison symphonique emportait tout.

 

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