Les 3 Soeurs

Les trois sœurs de Tchekhov au TNM | Un sommet pour René Richard Cyr

Avec la pièce alambiquée Les trois sœurs au Théâtre du Nouveau Monde, René Richard Cyr fait la démonstration d’une belle maturité de metteur en scène. Pour sa première incursion dans le monde de Tchekhov, il ne fait pas les choses à moitié. C’est lui qui a élaboré le texte en français à partir de traductions existantes, c’est lui qui a formé un formidable trio d’actrices en flagrant délit de vouloir changer de vie, c’est lui qui a eu l’idée du décor, et lui enfin qui réussit à surmonter toutes les craintes habituelles devant le théâtre du grand auteur russe. Si bien qu’Anton Tchekhov n’aura jamais paru aussi accessible à tous.

Dans son mot du metteur en scène, René Richard Cyr parle du dramaturge en le décrivant comme « un portraitiste compatissant et critique porté par un humanisme profond et véritable ». Puis, il ajoute : « Je vous avoue ne pas avoir eu souvent à faire face à autant de complexité et de défis en me frottant à un univers théâtral. »

*Photo par Yves Renaud.

Olga, Macha et Irina

Les trois sœurs, Olga, Macha, Irina, en même temps que leur frère Andreï, ont dû quitter leur Moscou natal en bas-âge pour suivre leur père, le général Prozorov, vers la steppe russe pour des raisons militaires qui ne sont pas expliquées. Au début de la pièce, le général est déjà mort depuis un an, ayant laissé ses trois filles en quête d’un retour rêvé à Moscou qui les a vues grandir et représente pour elles toute la notion de paradis perdu.

Mais nul ne repasse par son enfance, et le rêve des trois sœurs se bute à la réalité qui est la leur. Olga, l’aînée qui a 28 ans, enseigne dans une école pour jeunes filles. Macha, 23 ans, a tôt fait d’épouser un enseignant du collège de la petite ville qui n’est pas nommée. Et Irina, dont la famille fête ses 20 ans au début de la pièce, n’a de cesse de rêver à un monde idéal où elle serait enfin heureuse. Leur vie actuelle, tournant autour des officiers de la garnison militaire, est bercée par l’ennui et nourrie d’utopie, sans compter la composante amoureuse qui est loin d’être simple.

Trois actrices de force égale

Olga est jouée avec subtilité par Noémie Godin-Vigneau, Macha, avec une fougue et un élan de révolte hors du commun par Évelyne Brochu, superbe de véracité, et la toute jeune Irina idéaliste par Rebecca Vachon. Les trois actrices sont de force égale, ayant été dirigées avec un très grand soin pour mieux faire ressortir les différences autant que les ressemblances entre chacune. L’amour est au premier plan, et Macha, bien qu’elle soit déjà mariée, se jettera dans les bras du séduisant nouveau colonel arrivé en mission, Alexandre Verchinine, lequel est joué avec beaucoup de poigne par le comédien Éric Bruneau.

*Photo par Yves Renaud.

De son côté, Irina épousera par dépit le baron Nicolaï Tousenbach, joué par un Benoît McGinnis méconnaissable mais au meilleur de son grand talent de comédien. Quant à Olga, dépitée, elle noie son chagrin dans le travail, se sentant de plus en plus prise au piège de sa destinée. Leur frère Andreï, incarné par le solide Guillaume Cyr, bien que violoniste promis pour devenir professeur à l’université, vient tout chambouler en épousant Natacha, une fille quelconque que rend avec beaucoup de truculence l’excellente Émilie Bibeau.

Un décor dépouillé mais efficace

Ils sont 11 comédiens en tout, dont Robert Lalonde, à évoluer dans un décor neutre et dépouillé, un écrin en bois imaginé par René Richard Cyr et le scénographe François Vincent qui est également peintre et graveur dans la vraie vie. Les deux créateurs ont travaillé ensemble à maintes reprises dans le passé. C’est le cas aussi pour la superbe conception des costumes de Mérédith Caron, une doyenne de son art. Les éclairages bien dosés d’Étienne Boucher, et la musique originale de Michel Smith contribuent avec force au succès de toute cette folle entreprise.

*Photo par Yves Renaud.

Une histoire de famille tchekhovienne

La pièce, une histoire de famille bouillante, évolue sur une période de cinq années. On peut ainsi suivre l’évolution des personnages principaux ramenée à une heure et 40 minutes d’une représentation théâtrale délestée de toute forme de longueurs souvent reprochées au volubile auteur russe. Mais c’est un projet de longue haleine pour René Richard Cyr dont les premières ébauches de texte remontent à 2011.

Né en Crimée, Anton Tchekhov qui étonnamment a fait des études de médecine à Moscou, est mort en 1904 à seulement 44 ans. Il aura laissé en héritage littéraire autour de 600 récits et nouvelles, et 16 pièces de théâtre dont les plus jouées sont Ivanov, La mouette, Oncle Vania, La cerisaie et bien sûr, Les trois sœurs. Dans cette dernière, le personnage d’Éric Bruneau finira par dire : « Le bonheur n’existe pas. Il n’y a que le désir du bonheur qui existe ».

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